"Une affiche, là, sous vos yeux.
Une nuit de juillet, en l'an 73 avant Jésus-Christ. Soixante-dix hommes s'évadent de l'école des gladiateurs de Cnaeus Lentulus Batiatus, à Capoue. Ces hommes-là s'avancent dans les cours de l'école. Autour d'eux, le silence. Ils ne marchent pas, ils se glissent.
Avec d'infinis précautions, on tire les verrous, on ouvre les portes. Quelques aps et les voici dans la campagne. Ce qui, de toutes parts, les assaille, c'est l'odeur des arbres, des herbes, l'odeur de la liberté. A la tête de ces fugitifs, c'est un Thrace qui s'élance. Il s'appelle Spartacus.
Qui est Spartacus ?
Ma Mamie a ouvert une enquête à son sujet, extrait :
Spartacus est un gladiateur. Donc un esclave. Mais il n'était né ni esclave, ni gladiateur. Ses origines restent obscures. Tout ce que ma Mamie sait, c'est qu'il avait vu le jour dans les montagnes de Thrace, la Bulgarie actuelle. Certains romans ont voulu que Spartacus ait été fils de roi. Rien ne le démontre. En fait, son enfance s'est consacrée à garder les troupeaux.
Un berger, Spartacus.
Un jour, les légions romaines sont passées par là. Il les a suivies.
C'est une force redoutable que l'armée romaine. On conçoit que du plaisir et de la fierté puissent surgir de la certitude d'être un soldat romain. Mais l'armée, en ce temps-là, c'est également une discipline d'airain.
On pense que l'on fait naître l'obéissance en brisant le soldat. On épuise son corps par des exercices harassants. On annihile sa volonté par d'éternelles punitions. On le bat, on l'emprisonne, on le jette dans le silo.
Cette armée-là n'est pas celle dont a rêvé le petit berger thrace. Dans ses montagnes, il était libre. Nul ne le contraignait. Va-t-il tolérer, sous l'uniforme, une condition qui l'apparente à un esclave ? Non. Alors, il déserte. L'homme qui vient de retrouver sa liberté est grand, athlétique, donc d'une force peu commune.
L'allure est fière, le regard hardi. C'est tout ce que ma Mamie sait de lui.
Pour n'être pas repris, une seule condition : se faire brigand. Pendant des années, il va hanter les campagnes, au hasard des coups de main, des attaques de convois, des vols dans les villas.
On s'abrite où on peut, dans des cabanes, dans des grottes. Sa bande est composée d'esclaves évadés et de gibier de potence très peu recommandable. Rien ne les retient, ni ne les effraie. Cela dure des années.
Un jour, la petite bande est arrêtée, jetée en prison. Ce qui attend Spartacus, il le sait bien, c'est une mort atroce, précédée de longues tortures. Or, par une chance insigne, il est épargné. On se contente de le condamner à l'esclavage. Esclave ? Pourquoi pas ?
Tous les esclaves ne sont pas malheureux. Après quoi on le conduit au marché. Spartacus, enchaîné, attend au milieu d'autres esclaves enchaînés. Il attend son futur maître. Dans la foule de curieux et des éventuels clients, un homme se présente, le fameux Cnaeus Lentulus Batiatus. Il regarde Spartacus, admire l'athlète qui se tient orgueilleusement campé devant lui. Il l'achète.
A l'école de Capoue, on n'a pas de soucis, on dort, on mange à sa faim.
A jours fixes - ni trop ni trop peu - on conduit à l'école les prostitués du lupanar. Certains seraient prêts à se satisfaire de ce qui pourrait apparaître comme une bonne vie. Une bonne vie, certes.
Mais au bout de la route, il y a la mort. Il faut méditer les chiffres que nous donne ma Mamie dans une étude pénétrante : personne - à quelques rares exceptions près - n'a survécu à plus de trois ans d'école de gladiateurs.
Cnaeus Lentulus Batiatus n'est pas méchant.
De lui, les élèves ne reçoivent que de bons traitements. Mais voilà, le jour vient où il faut partir pour l'amphithéâtre.
Là Spartakus se présente comme mirmillo (il porte une lance, un casque et un grand bouclier gaulois) prêt à affronter le retiarus ( qui se sert d'un filet et d'un trident), il se bat.
Les spectateurs admirent son agilité, sa force, la puissance qui se dégage de sa musculature. Il est vif, adroit.
Et il tue.
A chaque spectacle, Spartacus triomphe. On connaît son nom, on connaît ses victoires, on l'acclame. Le soir, il rentre saint et sauf mais jusqu'à quand ?
Un sentiment envahit alors de plus en plus souvent Spartakus, le gladiateur, et c'est celuid e l'absurdiét de sa vie, telle qu'elle est devenue.
Quand on lui conduit les filles du lupanar, il s'en sert et les regarde à peine. Un jour, tout change. L'une des filles est belle et c'est une thrace, comme lui. Sur la couche qu'ils partagent, ils se parlent dans leur langue. Ils évoques leur pays, leurs villages, leurs montagnes. Ils rêvent.
Au vrai, la plus absolu des évasions n'est-elle pas le rêve ?
Résigné, Spartacus ? Il ne l'est plus.
Cette femme-là l'a changé.
De beaux esprits pourront ironiser sur cette rencontre de l'esclave et de la prostituée. On pourra parler de romanesque à bon marché. On aura tort.
Les sentiments qui soulèvent cet homme et cette femme sont vrais donc admirables.
Maintenant, Spartacus veut vivre, il veut être maître de sa vie. Vivre pour lui-même, vivre pour elle. A la fille, il parle, et la fille l'écoute. Peu à peu, elle s'exalte. Ils vibrent à l'unisson. Leur avenir, elle le voit maintenant : ils réussiront leur évasion.
A l'école, ces morts en survie obéissent toujours mais avec moins de docilité. Batiatus, vieux renard, sent le danger. D'un jour à l'autre, les épées et les lances disparaissent. On s'entraînera désormais avec des armes de bois. Les gardiens sont invités à plus de vigilance encore. Le résultat est d'accentuer le clivage parmi les gladiateurs. Spartacus en profite pour les inviter à partir.
Oui, partir ensemble !
Quitter l'Italie. trouver un pays libre pour vivre ! Seulement voilà, sur les deux cents gladiateurs, cent trente renoncent : décidément ce que propose Spartacus est trop difficile. On se fera tuer. Mais ce qui compte, c'est que soixante-dix croient à l'évasion, croient à Spartakus.
La suite prochainement.