"Un coup de foudre !
A une date pour moi indéterminée, mais que l’on peut situer vers 1942, s’est produit un évènement dont je tiens le récit de mon père. Hélène, jeune fille de dix-sept ans, habite ses chez parents. Fine, élancée, fort jolie brune aux yeux bleus, elle achève devant la porte de la maison de prendre congé d’une amie. Un jeune homme qui passe reconnaît celle-ci et s’arrête pour la saluer. Brèves présentations. Le jeune homme s’éloigne. Hélène n’y pense plus. Le jeune homme lui est sous le charme et c’est l’amour qui s’éveille.
Son coeur vient de faire boom. La fenêtre de la chambre de la jeune fille donne sur la rue. Tôt le lendemain, poussant les volets, elle aperçoit, debout sur le trottoir d’en face, le jeune homme de la veille. Il observe fixement le premier étage de la maison. Hélène n’a pas le loisir de s’interroger. Se voyant démasquer, le jeune homme s’enfuit à toutes jambes. Le récit de mon père s’arrête là. Mais tout me laisse à penser que le coup de foudre devant une porte n’est pas resté sans lendemain.
Le lendemain donc, le destin qui fait si souvent bien les choses met Mamie sur la route de Papi. Un deuxième contact. Un simple regard. Rien qu'une larme. Il ne s'est rien passé le premier soir, mais il y a eu d'autres soirs. Comme dit Mamie : "Difficile de résister à l'attraction sexuelle qui fait frissonner deux corps quand ils se frôlent."
Dans la roue de la vie, Mamie et Papi font désormais parti du jeu, ils ont leur place sur l'échiquier. Il y a peu de jours qu'ils se sont rencontrés. Le siècle est en eux, charriant ses angoisses, ses terreurs.
Pour l'instant, sous l'éclat des étoiles d'avril, ils se sont écartés, autant que faire se peut, du fleuve lourd de l'histoire. Ils se tiennent en équilibre sur sa berge et sentent leurs coeurs se gonfler comme si, soudain, insupportablement, le ciel de la nuit s'emplissait de trop de printemps.
Un jour, à l'abris des regards, j'ai demandé à Mamie si Papi était le seul homme de sa vie ; je n'oublierai jamais sa réponse : "C'est ce que j'ai toujours dit à Papi. Qu'il était le seul. Mais je mentirai si je disais que je n'ai pas apprécié la compagnie d'un ou deux hommes avant lui. Peut-être trois."
Ma Mamie a toujours été un peu cachotière...