"La miss.
Le 11 novembre 1918, jour d’armistice, c’est un ballet de rires, de chants et d’étreintes qui frappe le pavé parisien.
Au Casino de Paris, un tandem interprète La madelon de la victoire pour un public qui se levant comme un seul homme, reprend en coeur. Mistinguett et Maurice Chevalier !
Ils devront bisser six fois tant la ferveur des aficionados enfle dans la salle.
"C’est la fin du cauchemar, la fête recommence..." brandit, gouailleuse, la Miss.
Mistinguett, c’est tout un poème, l’histoire ahurissante d’une fille de rien qu’une énergie sans pareil hisse au sommet, une "propriété nationale" dira Colette.
Elle vend ses petits bouquets devant le casino d’Enghien-les-Bains avant de tâter du caf’conc. Non pas qu’elle ait de la voix, du jeu de jambe ni même qu’elle soit belle.
Elle n’a rien de cela mais bien davantage : le bagout, l’entrain, la folie, la fantaisie, la drôlerie...
Sur les planches, elle apprend peu à peu à canaliser son énergie et à composer son personnage.
Elle joue les comiques, les gigolettes et les épileptiques , ainsi que l’on nomme les artistes quelque peu remuants.
Elle fait son bonhomme de chemin. Le public adore sa dégaine avec ses petites jupettes et ses socquettes.
Jean Cocteau plus que quiconque ! Il n’a pas encore le sou mais économise pour voir son idole sur les planches et la fleurir de petits bouquets de violettes.
Après le Moulin-Rouge dans La valse chaloupée, elle débarque aux Folies-Bergère en 1911, au bras de Maurice Chevalier. Il a quitté Fréhel pour ses beaux yeux : une idylle qui les liera dix ans.
Le couple propose La Valse renversante. Il y a de quoi...
Une danse plus proche de la roulade que de la chorégraphie ! Les deux, en pleine étreinte, doivent faire chavirer quelques meubles, se projeter sur un sofa avant de se rouler sur le tapis sans s’être déliés : de quoi s’aimer à la folie pendant une décennie !
Et que n’aurait pas tenté la Miss pour libérer son homme fait prisonnier dans un camp allemand ? ... Jusqu’à quérir l’aide du roi d’Espagne, l’un de ses plus fervents admirateurs !
Leur folle romance est un chapelet de scènes et de provocations. Toujours prompte à jeter de l’huile sur le feu de leur amour et à aiguiser la jalousie de son homme, elle célèbre même à grand renfort de tambour son faux mariage avec Mayol, pourtant inverti notoire.
La guerre achevée, s’ouvre une époque nouvelles, de folles années...
Les chansons deviennent alors bien guillerettes, ainsi C’est une gamine charmante extrait de Phi-Phi, ou encore Dédé. L’Amérique fait alors rêver, son charleston, son fox-trot, son blues et son ragtime.
C’est le temps du grand escalier bordé de nymphes à paillettes et à plumes et des "L’ai-je bien entendu ?" et guirlandes de gambettes gainées...
Mistinguett entre dans la danse. Parée de ses trucs en plumes et d’une fortune colossale en bijoux, sans oublier ses maigrelettes gambettes que l’on dit assurées pour cinq cent mille francs, elle met le feu au Casino de Paris.
Son nom brille en lettres de feu à l’affiche de En douce, de Ça c’est Paris... Ou encore de La java de Doudoune avec comme jeune premier Jean Gabin, de Paris qui jazz avec pour chanson vedette Mon homme. N’est-elle pas tordante lorsqu’elle entonne de sa voix maladroite :
"Il m’a vue nue ? Il m’a vu nue. Toute nue
Sans cache-truc, ni soutien-machins
J’en ai rougi jusqu’aux vaccins...
Elle prête son image aux plus grands couturiers, à des parfums, à des automobiles symbolisant alors le luxe dans toute sa splendeur. Elle incarne si brillamment Paris que l’Amérique la réclame.
Et notre Miss s’installe à Broadway et Mon homme, dont on murmure qu’elle s’adresse alors à Maurice Chevalier, transformé en My man y est un succès colossal.
Mistinguett est alors une telle légende qu’elle se permet même de se mettre en scène dans un de ses refrains, C’est vrai.
"On dit que j’ai de grandes quenottes
Que je n’ai que trois notes
C’est vrai !
Mais j’s’rais pas Mistinguett
Si j’étais pas comme ça !
Elle tire sa révérence à 81 ans. Et si l’on donne aujourd’hui l’âge de la Miss, il fut longtemps secret d’état.
Celle-ci refusait en effet de le dévoiler, si bien que la chose ne manquait pas d’être tournée en dérision...
Le chansonnier Marcel Achard en fera un texte hilarant : "On prend la date de naissance de la Miss, on soustrait le chiffre de lui-même et on brûle ensuite le papier sur lequel on a fait le calcul. Puis on additionne le nombre de lettres que la Miss a reçues pendant les douze derniers jours et on multiplie par le nombre de ses toilettes d’été, on retranche son dernier cachet, on ajoute le nombre de ses mariages vrais ou faux, on enlève trois mois par enfant, on retranche dix ans par galanterie..."
Finalement, l'un dans l'autre, de Chevalier, ne restera plus que l'amitié.
Et Mistinguett constate :
"Nous nous sommes revus... J'avais toujours de la peine. mais il existe des choses plus importantes que les choses sans remède, les revues succédaient au voyage et il fallait que je fasse ma vie."
... analyse :
"La présence de Chevalier ne m'a jamais apporté grand-chose. Mais son absence a dominé le reste de ma vie. peut-être est-ce ma faute s'il m'a quittée..."
... vise juste :
"Peut-être est-ce parce que je n'ai jamais pu oublier le garçon qui essayait son premier smoking en chaloupant sur le boulevard pour faire distingué, si gonflé de sa nouvelle importance, que l'on n'aurait pas pu glisser une feuille de papier à cigarette entre son fond de culotte et ses fesses.
... et enfin avoue :
"En ce qui me concerne, Maurice n'est jamais vraiment parti ni revenu. En amour, je me passe de géographie/ Le souvenir de ce que fut notre amour me tient lieu, toute ma vie, d'état d'âme. Grâce à lui les paroles les plus anodines prennent du paysage... En cachette, je songeais encore à lui... Maurice Chevalier, c'est un chapitre à part dans ma vie, sans grand rapport avec les dates, sans grand rapport même avec la vie que nous avons menée. Notre histoire n'est peut-être pas fini..."
La miss écrit ces lignes en 1954. Elle a soixante-dix-neuf ans.
Rideau.