"Avec le soleil pour témoin.
"C'est Jean Nohain insista un jour pour qu’on déjeune avec le grand manitou de Marianne. Je peux être odieuse, désagréable, je le sais. Mais jamais je ne le fus autant qu’en mâchonnant de turbot poché à l’oseille.
Mon Prince fit alors son entrée dans ma vie. Lui qui savait tout, savait-il que dès cet instant, seule la mort nous séparerait ?
Emmanuel Berl - qu’aussitôt et sans très bien savoir pourquoi, mais avec un agacement certain, je surnommai intérieurement "Théodore"-, me fit part du tollé de protestations que ses lecteurs avaient manifesté à propos d’un papier qui m’était consacré. Un tel remous, dans son journal, décida son directeur de venir entendre, lui-même, le petit phénomène.
Le café à peine avalé, je pris congé. jean Nohain me téléphona aussitôt après :
- Et bien, le déjeuner s’est bien passé !
- Pour vous peut-être ! Mais moi, dix minutes de plus avec un Théodore pareil et je devenais folle !
- Je le croyais.
Ô fontaine...
L’incident clos, j’avais complètement oublié Emmanuel Berl, son journal et son déjeuner.
Un soir, bien plus tard, Théodore me ramena.
Je ne l’avais, encore, jamais regardé. Mes yeux se fixèrent d’abord sur ses mains : elles me fascinèrent. Elles se mouvaient, bougeaient, s’agitaient pour ponctuer, achever, terminer une phrase, une pensée, un souvenir. Le temps du retour se passa dans un conte de fées, celui des Trois citrons.
Et l’histoire fabuleuse de ces Trois citrons me fut racontée par lui. ceux qui ont eu la chance d’écouter Théodore ne peuvent, ne pourront l’oublier.
Et ce conte... "Ils s’aimèrent, se marièrent et eurent... beaucoup de petits citrons !"
Paris me sortit de mon rêve.
- Merci... et au revoir.
- A bientôt ?
- Peut-être...
Un soir, bien plus tard, alors qu’on venait de parler et qu’il s’était éclipsé, Blanche Montel me souffla à l’oreille :
- Il ne tient qu’à vous de devenir Madame Emmanuel Berl...
Elle a dû boire un peu trop de champagne, pensai-je.
J’appris mon mariage à Lille... Pendant l’entracte du nouveau spectacle où je jouais deux sketchs avec Georges Milton.
Ce soir-là, je me tortillais bêtement, de plus en plus mal à l’aise, quand commencèrent à pleuvoir sur ma tête d’étranges quolibets, du genre "Oh ! la vilaine cachottière ! Oh la petite sournoise ! On en apprend de belles dans les journaux !" Et Georges Milton de déployer, d’étaler sous mon nez la première page de Paris-Soir avec photo de Théodore et de moi, soulignée de cette légende en gros caractères : "Mireille épouse Emmanuel Berl".
Après la stupéfaction, la colère ! Vite un téléphone ! Exiger de Paris-Soir un démenti immédiat ! Sous peine de préjudice grave, obtenir séance tenante de cet aliéné d’Emmanuel Berl, sur trois colonnes à la une dans Marianne des excuses pour fausse information !
En rentrant de Paris, j’ai trouvé mes Parents peinés. Comment avais-je pu garder un tel secret ? Moi, j’étais effondrée ! Chagriner mon père me rendait Théodore encore plus haïssable. J’eus beau trépigner, jurer que je n’étais pour rien dans cette annonce matrimoniale, que cet Emmanuel Berl, je le connaissais à peine... "L’avais-je, seulement, rencontré cinq ou six fois ?"
- D’ailleurs, vous verrez, de main, ma désapprobation officielle !
J’attendis, vainement, le rectificatif. Le lâche ne démentit rien !
Huit jours après l’incident, il me fit parvenir dans la boutique de mes parents un ravissant petit bracelet en diamants de la largeur de mon poignet.
Un mot :
"Votre sorcière, Madame Boot, ne vous a-t-elle pas conseillé de porter une chaîne ? Je sais aussi combien il est difficile au signe de la Balance de prendre une décision..."
Pour éviter mes hésitations, il l’avait donc prise pour moi ! Le billet disait aussi qu’au cours de nos rares conversations, il avait remarqué l’importance que j’attachais à la lecture des journaux, ne mettant jamais en doute l’authenticité de leurs informations ! Que voyant, écris noir sur blanc, l’annonce de mon mariage, j’y croirais !
Mes parents, perplexes, m’observaient. J’essayai, oh simplement "pour voir", le petit bracelet... qu’il était joli... exactement ce qui manquait à mon poignet... et puis, renverra ? Renverra pas ?
Le 26 octobre 1937, au bras de Théodore, je sortis de la mairie du 1er arrondissement.
Notre histoire commença mal. Théodore m’embarqua, m’enveloppa comme un colis et en route pour Valmont dans une maison de repos ! Dès notre arrivée, je l’entendis parler au médecin de la clinique :
- Pesez-là... Combien ? Trente-neuf kilos ? Mettez-m’en quatre de plus !
- Combien de jours m’accordez-vous ? dit le médecin.
- Dix ! dit Théodore.
Que je plains les pauvres oies que l’on gave ! Pesée matin et soir, Théodore y veillait, j’avalais mes grammes à grands coups de purée de navet, soupes épaisses à l’orge perlé... J’étais révoltée ! Je voulais me sauver, divorcer ! Il restait impassible : "Je ne faisais pas encore le poids !" Tout le monde disait que notre union ne durerait pas six mois. je le pensais aussi.
Quand Théodore me sortit de Valmont, j’étais joufflue, et lui content !
Théodore ordonnança dans la foulée une cure de musées !
Le retour au foyer s’avérait impraticable à cause de son petit studio où il n’y avait pas de place pour mon piano. Non, décidément, j’avais été folle de me lancer dans le mariage ! Et pour la vie, encore ! Il fallait mettre fin à cette aventure au plus tôt.
Habilement, Théodore me proposa un bail : trois, six, neuf.
- Mois ?
- Ans !
Ensemble... avec possibilité de dénoncer ou renouveler l’engagement suivant mon bon vouloir ! Question qui se posa quarante ans durant, à travers guerre, vents et marées...
Si vous souhaitez en savoir plus...