"Caroline Chérie.
Hiver 53-54. Son lourd cartable sur le dos, Papi rentre chez lui. Sur le chemin, il s'arrête rituellement devant le cinéma Le Lido qui expose quelques photos du film de la semaine. Cette fois, une des images le fascine. Dans un décor renaissance, une femme est allongée, nue, entourée d'hommes dont l'un verse le contenu d'une carafe de vin sur sa poitrine sans voiles. Une scène d'orgie devant laquelle Papi, un peu gêné, va se planter chaque jour, jusqu'au remplacement - hélas ! - de ces photos par celles du film suivant. On ne lui aurait sans doute pas permis d'aller voir Lucrèce Borgia, et la si troublante Martine Carol, dont le seul nom fait danser de drôles de lueurs dans le regard des hommes.
Et c'est peut-être mieux ainsi : "Le lecteur érotique, écrira Papi des années plus tard à un ami, c'est l'adolescent qui lit un livre sous la couverture. Les mêmes lignes perdent leur pouvoir érotique le jour où les grandes personnes disent : "Tiens, tu es assez grand, tu peux lire ça." Il n'empêche, Papi aurait bien aimé être assez grand pour voir ça ! Comme son père avait été "assez grand" pour découvrir Edwige Feuillère effeuillée dans la version d'avant-guerre.
Martine Carol ! Pour les mères de famille, elle est une diablesse, une pin-up dévoreuse de maris. Surtout depuis son rôle non moins leste dans Caroline Chérie, adaptée du best-seller de Jacques Laurent. "Vous êtes mon interprète idéale", lui avait dit l'écrivain, aussi bon connaisseur en femmes qu'en littérature. Au cours d'un cocktail, les producteurs du projet demandèrent alors leur avis à quelques journalistes spécialisées. On vota. Martine fut désignée à l'unanimité. C'est ainsi qu'elle fut Caroline, une Caroline offrant au public une plastique sans faille. Bref retour en arrière sur son parcours :
Au début de la guerre, elle est inscrite au cours Simon à Paris et commence à courir les auditions. Des figurations. Un pseudonyme suggéré par François Perier qu'on ne présente plus. Des petits rôles dont un dans Miroir avec Jean Gabin qui, quelques nuits durant, essaie d'oublier dans ses bras sa liaison avec Marlene Dietrich. Elle est jolie, de la tête aux pieds, en joue et en rajoute. En 1947, du pont de l'Alma, elle se jette dans la Seine... sous les yeux du chauffeur de taxi qui l'a (professionnellement) prise, et qui l'a sauve de la noyade. Elle aurait voulu mourir parce que l'acteur Georges Marchal lui préférait une autre actrice, Dany Robin. Il n'y a pas de mauvaises raisons pour se jeter à l'eau, après tout.
Seulement voilà, tous ne semblent pas convaincus par cette version et penchent pour le coup publicitaire : "Dites-nous, Martine, demande un journaliste, avez-vous eu les pieds mouillés ?" Le fait est qu'elle s'est en tout cas fait mousser, et le théâtre où elle joue La route du tabac doit chaque soir refuser des spectateurs venus voir "la suicidée du pont de l'Alma". Tout ce tapage fait de belles couvertures de magazine. D'autant que ses décolletés sont - d'après papi -, des plus photogéniques et qu'elle a appris à les mettre en valeur.
Comme lors de son mariage à Monaco avec le Texan Steve Crane, ex-époux de la splendide Lana Turner. Ce jour de septembre 1949, les fonctions officielles et la nature humaine du maire de Monaco ont dû s'entrechoquer. Notamment au moment de la signature, lorsque dans l'axe du porte-plume tenu par une Martine Carol légèrement penchée, s'imposaient à ses yeux deux formes parfaites et bronzées, dans leur "présentoir" d'organdi blanc.
Elle a connu Steve aux Etats-Unis, où elle a accepté la proposition (professionnelle et lucrative) d'un autre Américain, propriétaire d'un grand cirque : "Vous êtes la plus belle femme, vous serez la reine de ma parade." Le magazine Life la place en tête de son classement du "charme français" des glamourous girls où elle devance d'une courte tête Danielle delorme, Simone Signoret, Geneviève Page et Françoise Arnoul.
Bref, on se l'arrache. Après Caroline Chérie, Lucrèce Borgia, Madame du Barry et Nana, elle est au sommet. "Quiconque n'a jamais assisté à son arrivée quelque part ne saura jamais ce que le mot "popularité" veut dire" s'enthousiasme Papi, conquis.
Je crois qu'on peut dire - sans peur de se tromper -, que Martine Carol est le premier amour de Papi.
Rideau.