"Les vacances.
Après l'année scolaire et ses contraintes, place à la liberté et à l’été. L’été qui stimule, qui assainit, qui remplace les remèdes : cataplasmes à la moutarde, ventouses au coton enflammé, huile de foie de morue, ampoule au sang de cheval, pastilles Pulmol. Vive le soleil et les vacances, en somme.
Elles commencent à la mi-juillet, et la rentrée a lieu en général le 1er octobre. Etre en vacances ne signifie pas pour tous partir en vacances. Loin de là : au début des années 50, c’est encore une majorité qui n’en prend pas.
On joue dans la rue, la rue et ses surprises, la rue où les voitures ne sont pas assez nombreuses pour empêcher les courses en patins à roulettes ou sur des chariots à roulement à billes, les parties de foot sur des échasses. Il y a ces immenses terrains envahis par les herbes et les arbustes, cette campagne que l’on métamorphose en plaine du Far-West afin d’y jouer aux cow-boys et aux Indiens.
On y creuse des circuits tarabiscotés pour des parties de Tour de France, chaque bille de terre, d’agate ou de verre représentant un coureur. Cette terre, cette herbe, ces cailloux, quel décor pour les petits soldats de métal qu’on place en ligne ou en embuscade !
Les figurines américaines ont la vedette avec leurs jeeps et leurs GMC kaki frappés de la grande étoile blanche. Et puis, il y a les petites voitures : Dinky Toys et Solido sortent les nouveaux modèles aussi vite que les vraies. Les vraies, celles avec lesquelles on aimerait tant s’élancer sur les routes des vacances, comme cette nationale 7 qui file vers la Méditerranée.
Les familles nombreuses, chargées de valises boursouflées et de sacs pour les casse-croûte, s’entassent dans les wagons de troisième classe inconfortables. les tout-petits ont la chance d’être installés pour dormir dans les filets à bagages.
A l’arrivée, tout le monde a le visage et les mains noircis par la fumée de la locomotive. Le film des années noires, le décor grisâtre de l’après-guerre ont provoqué un formidable appétit de fête et de soleil.
Les clichés noirs et blancs fixent ces groupes de jeunes femmes en costumes de bains, tâtant du bout des pieds, en piaffant de rire, l'eau salée de la Méditerranée pour la première fois de leur vie ! La presse décrit ces bouchons de tacots, motos, tandems...
Les premiers "congés payés" prennent la route. Des couples d'ouvriers vêtus de pull-overs assortis, consciencieusement tricotés par l'épouse en prévision d'une si belle occasion, sillonnent le pays du nord au sud avec les moyens de locomotion de fortune.
Les gares sont bondées et les compartiments plein à craquer de prolétaires qui s'écrasent "tassés comme des sardines dans leur boîte". Vive les vacances et le front populaire ! L'espoir renaît. "La route des vacances offertes aux travailleurs" titre exalté, un journal populaire. Tandis que le Figaro livre à l'opposition, qui vomit les "salopards à casquettes", des caricatures décrivant les mauvaises manières des ouvriers, leurs parties de saucissonnage vulgaires sur la plage chic et mondaine de Deauville.
Pourtant, comme dit ma Mamie, en cette année de 1936, les français ont d'autres chats à fouetter.
L'armée nazie se rapproche...