"Une illustration, là, sous vos yeux...
Un été - celui de 1912 d'après ma Mamie - Charles Lindbergh jouait dans sa chambre au premier étage, quand il entendit un bruit de moteur. Ce n'était pas celui d'une automobile. Sortant par la fenêtre, il grimpa sur le toit. Il aperçu dans le ciel un singulier appareil avec hélice à l'arrière... Il fit alors savoir à son père et à sa mère qu'il allait quitter l'école dans un seul but : apprendre à voler.
Réaction du père :
- C'est trop dangereux et tu es mon seul fils.
Réaction de la mère :
- Très bien. Si tu désires vraiment voler, c'est ce que tu vas faire.
Très vite, sa pensée s'enflamme à une idée fixe : accomplir le vol New-York-Paris sans escale.
New-York-Paris sans escale !
La traversée de l'Atlantique, d'autres y pensaient depuis longtemps. Il fallait faire vite, car les compétiteurs se multipliaient. Son père n'avait cessé de lui répéter qu'un bon Américain ne désespérait jamais et qu'une fois sa décision prise, s'il était prouvé que celle-ci était juste, un homme digne de ce nom ne devait pas dévier de sa route.
Lindberg mit alors les bouchées doubles et ne quitta guère l'atelier. Le poids de l'appareil était sa hantise. Comme, il l'avait exigé, on avait écarté tout accessoire jugé inutile par le jeune pilote : radio, compas, indicateur de niveau d'essence, équipement pour vol de nuit.
Il renonça même au parachute pour compenser par quelques litres supplémentaires d'essence. Quand on lui parla de nourriture, Lindbergh demanda que l'on calculât simplement ce que pèseraient cinq sandwichs et un litre d'eau.
Les compétiteurs ? Aux essais, le trimoteur de Byrd s'était écrasé. De l'autre côté de l'atlantique, les Français Nungesser et Coli avaient pris l'air à bord de l'Oiseau blanc. On ne devait jamais les revoir.
En fait, Lindbergh était seul sur la ligne de départ. L'infortune et la mort avaient devant lui éclairci tous les rangs.
Le jour du départ, le vent s'est mis à souffler. Il va falloir affronter au décollage un poids énorme. Lindbergh pèse le pour et le contre.
Et soudain, écrira-t-il, "la conviction monte en moi que les roues quitteront le sol, que les ailes franchiront les fils télégraphiques victorieusement, que le moment est bien venu d'entreprendre le vol".
Il lève la main. Sur la piste, tous ont compris. On retire les cales. Le Saint Louis roule alors avec une lenteur qui désespère tous les témoins avant de prendre de la vitesse et de décoller...
Tous à terre, hurlent :
- Ça y est !
Ma Mamie a si bien racontée sa traversée de l'Atlantique que vouloir après elle l'évoquer en détail n'aboutirait qu'à la paraphraser.
Il suffit de se souvenir qu'il s'est battu contre le sommeil. Après dix-sept heures de vol, il n'a pas dormi depuis quarante-huit heures !
Quoi qu'il fasse, ses paupières se ferment. Il tente de les tenir ouvertes entre ses doigts ; les paupières se révèlent les plus fortes. Il ne va pas arrêter de lutter. Contre le brouillard. Contre le sommeil.
A la nuit tombée, après avoir traversé l'Irlande et attaqué la côte française, il voit au loin Paris rutiler de toutes ses lumières.
Il distingue clairement la tour Eiffel illuminée : la fameuse publicité Citroën.
Il la contourne puis met le cap sur le Bourget.
Sur la route, il discerne un énorme embouteillage, une interminable file d'automobiles, pare-chocs contre pare-chocs qui toutes semblent se diriger vers l'aérodrome. Le croira-t-on encore ? Pas une seconde, il n'en vient à penser que ce sont là les voitures de gens venus pour lui.
Voici la piste, le hangar. Il atterrit.
Cent milles personnes. Cent mille qui avaient gagné le Bourget dès que l'on avait appris que le Spirit of Saint Louis avait été vu au-dessus de l'Irlande. A peine les roues de l'appareil touchèrent le sol que cette foule se rua.
Les gens hurlaient, pleuraient.
Lindberg fut happé, enlevé. Il ne comprenait toujours pas. Il posa cette question bien digne de lui :
- Y a-t-il quelqu'un qui parle anglais ?
Il se sentait emporté comme sur la crête d'une immense vague. On lui arracha son casque de cuir. D'autres touchaient ses vêtements, comme ils eussent fait de ceux d'un dieu. Ce furent deux aviateurs français, Détroyat et Delage, qui le sauvèrent. Ils placèrent son casque sur la tête d'un grand Américain qui se trouvait là. Dès lors, on prit celui-ci pour Lindbergh et on le porta en triomphe pendant que Lindbergh était mis à l'abri.
Pendant ce temps, la foule déchiquetait le Spirit of Saint Louis pour en arracher des reliques.
A l'ambassade, on lui demanda s'il n'était pas trop fatigué. Alors seulement, il se rendit compte qu'il n'avait pas dormi depuis soixante-trois heures. Il était quatre heures du matin. Il gagna sa chambre et s'endormit instantanément.
Pendant la nuit, l'extraordinaire nouvelle courait les fils du téléphone, ceux du télégraphe, les câbles transatlantiques, les ondes de la radio. Le monde vibrait à l'unisson de la victoire de Charles Lindbergh.
Un mois plus tard, Lindberg repart pour un vol sans escale, New-York-Mexico.
Là, de nouveau, le destin l'attendait...
Un grand dîner à l'ambassade. Un de plus. A ce genre de cérémonial, Lindbergh commence à être accoutumé. Il sait que la tradition, chez les gens bien nés, est de parler pendant le premier service à sa voisine de droite, pendant le second service à sa voisine de gauche, pendant le troisième service à sa voisine de de droite, et ainsi de suite.
L'ambassadeur Morrow, personnage influent, a placé son hôte d'honneur entre ses deux filles. L'aînée est à sa droite, la cadette à sa gauche.
L'aînée est si brillante, si gaie, si spirituelle que Linbergh laisse passer trois services sans songer à se retourner vers sa cadette. Au comble de la confusion, il tâche alors de faire oublier un si fâcheux comportement en engagent ex abrupto la conversation.
A la jeune fille - elle s'appelle Anne et elle enrage - il ne trouve rien d'autre à dire que ces mots :
- Est-ce que vous volez ?
- Non, répond la petite. Et vous ?
Lindbergh devait confier plus tard que c'est à cause de cette réponse qu'il décida d'épouser Anne Morrow.
D'Anne Lindberg, la princesse Bibesco a dit joliment : "Elle est entrée en religion avec lui."
Il sembla en effet qu'en se mariant avec Lindbergh, Anne Morrow avait épousé aussi aussi cette aviation sans laquelle la vie de Charles n'aurait comporté aucun sens.
Elle fut désormais de tous ses voyages, de toutes ses recherches. Elle travailla avec lui. Ils étaient deux, ils ne furent plus qu'un.
Quand elle se lit à écrire, ce fut d'abord pour parler de son mari. Avec cela, ne manquant pas d'esprit.
Quand Lindbergh atterrit au Kamtchatka, les Russes demandèrent à Anne quelle était sa profession. Elle répondit :
- Heu... Mariée !
Ma Mamie avait adoré cette réplique...
Collection "Mamie explore le temps"
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