"Rien à faire. Quand la sauce ne prend pas...
Pourtant je me démène comme un beau diable, mais le public s'endort. Irrémédiablement.
Entre deux refrains, des personnes sourient doucement et parlent de promenades, de chorales, de collectes de champignons, de jardinage, de lectures, d’aquarelles...
Je pense alors qu’ils habitent tous Montirat, que leur vie passe sans heurts, douceur des jours semblables le long d’un fleuve qui stagne. Suivant les jours, j’admire ou je m’énerve, je rêve de devenir un animateur soudain agressif leur disant sans prendre de pincettes :
"Mais enfin, vous n'êtes pas bouleversé par la vie de ma Mamie, vous n’avez jamais eu de catastrophes, de déchirements, vous n’avez jamais foncé dans une aventure, vous n’avez jamais pété un plomb ?
Jamais une bagarre, un chagrin, un échec, une envie de vous tirer aux Galàpagos, au lieu de jouer le baryton à la remise des prix, de danser Extase de Massenet lors de la fête du village, vous n’en avez pas marre de toute cette eau de rose, de ce ralenti d’existence ? Vous n'avez pas envie de vous lâcher et de chanter à tue-tête pour vous défouler ?"
J’ai tort bien sûr, ils ont tellement l’air de braves gens ! Pourquoi les bousculer ?
Je me suis souvent demandé s’il y avait des crapules parmi eux, des pervers sadiques, des sado-masos, cela semble impossible... Une image journalière de la douce France, celle de vies bien remplies, qui s’achèvent sur des chaises longues, les pieds au ras des plants de poireau avec les cui-cui d’oiseaux pendant la sieste...
Et le fleuve berceur aux îles mouvantes, la cathédrale dominant le tout : Albi s’enfonce dans la nuit, les écrans de télévision s’éclairent. Les regards s'éteignent. On attendra demain pour préparer la tarte aux mirabelles. Après tout, on est pas à la pièce. En attendant, c'est l'heure de la sieste. Je vous réveillerai à la fin. Dodo.
Et puis, d'un coup d'un seul, le public s'est réveillé sur le French Cancan et à commencé à battre des pieds et des mains. Je me suis arrêté un instant pour jouir de ce moment pictural et sonore et c'est là, à ce moment très précis que j'ai aperçu Dario Secoïa venu assisté au spectacle.
Il était là, dans le coin, avec le petit. Il m'a semblé voir une lueur dubitative dans son regard. Comme l'interrogation intérieure de quelqu'un qui, prenant le train pour Naples, se retrouverait en gare d'Helsinki.
Je m'égare.
A la fin du spectacle, on est rentré dans la foulé à la maison pour boire un coup. Un Ricard pour nous, un Vermifuge Luné pour le petit et on a commencé à rire. J’ai alors senti une marée m’envahir, une eau tiède de douceur et de plaisir.
Et si une maison n’était faite que de rires d’amis ?
Que serait-elle sans eux ? Rien que de vieilles pierres. Ce qui la cimente, ce qui la fait vivre et la rend chère à mon coeur, ce sont ces chants, ces voix qui montent, ce sont celles des gens que j’aime. Ces moments sont heureux, ils sont mes haltes...
Mamie a raison quand elle dit, je ne fais que citer :
- Rien n’égale le rire d’un ami qui s’égosille tandis que les autres reprennent en coeur.