"Le temps des cerises.
Ne vous détrompez-pas, ma Mamie n’a pas décidé du jour au lendemain de devenir moine. Encore moins de rentrer au couvent. Monastère n’est ni plus, ni moins que la traduction catalane de Monestiés, un petit village charmant situé à dix minutes de Carmaux (en roulant bien).
Sur la placette il faut s’arrêter l’été et boire un verre sur la terrasse. Le temps ici s’est figé. Tout y est apaisant, même l’angélus y est plus lent qu’ailleurs.
Ici les tragédies s’enfuient à tire-d’aile avec leurs compagnons, les vacarmes et les furies. Pas de drames, le paysage n’est pas fait pour ça.
Dracula ici aurait fabriqué du fromage de chèvre, Landru et le docteur Petiot auraient passé des journées étirées à de longues belotes, et Hanibal Lecter serait devenu végétarien...
Pourquoi ce village me produit-il toujours cet effet ? Peut-être parce que ma Mamie venait flâner ici quand elle était petite.
Elle partait de bon matin. Avec les copains.
A bicyclette.
Ses copains ? Il y avait Fernand. Il y avait Firmin. Il y avait Francis et Sébastien.
Et puis Paulette.
Sur les petits chemins de terre, elle a souvent vécu l’enfer pour ne pas mettre pied à terre. Devant Firmin. Il faut dire qu’il y mettait du coeur. C’était le fils du facteur.
A l’époque, quand ils approchaient la rivière, ils déposaient dans les fougères leurs bicyclettes avant de ses rouler dans les champs faisant naître un bouquet changeant de sauterelles, de paillons et de rainettes.
Du coup, on était content de faire une représentation dans ce village. Mais nous on a pas eu le temps de flâner ni de se baigner dans la rivière parce qu’on était à la bourre à cause des bouchons.
Et puis, de toute façon, même si on avait voulu, on aurait pas pu, il n’y a pas de vélib à Monestiés.
Dommage, après tout.
Mais revenons à nos moutons, on a vraiment bien fait de passer l’après-midi avec les résidents de domaine Monestiésain. Et puis, au domaine, il y a Josefa Ruiz.
Alors, se dira le lecteur, quel besoin de parler de Josefa Ruiz ?
On ne sait pas grand chose sur elle. Juste que dans les années 50, elle fut la maîtresse d'Andrea Forbesci, un des tueurs en série les plus célèbres de Roumanie. On sait aussi que depuis deux mois, Josefa s'était enfermée dans un profond mutisme et n'avait pas prononcé un seul mot.
D'ailleurs, dès le début, elle s’est tenue derrière et c’est là que, masquée par les feuilles, les branches et les fruits, j’ai pu me rendre compte qu’elle avait des yeux étonnants, de la couleur du soleil, de la couleur des citrons.
Ce n’est pas suffisant pour connaître une femme, mais c’est très suffisant pour en rêver.
Josefa a commencé à fredonner sur Le temps des cerises. Dans la foulée, elle s'est mise à pousser la chansonnette - la larme à l'oeil - sur les refrains de la vie d’autrefois, avant de chanter - à tue-tête - La chanson des vieux amants. Josefa a retrouvé - le temps d’une chanson - sa mémoire vive.
Ma Mamie a raison quand elle dit qu'une chanson est une caresse sur la joue.