"Le grand chemin.
Ledignan est une bourgade charmante située à quatre heures de Carmaux (en passant par les départementales).
C’est ici - à cet endroit très précis - qu’on s’est retrouvé le temps d’un voyage dans le temps en compagnie des résidents et - excusez du peu - d’une classe de CM2.
Or, et vous le savez très bien, j’ai horreur des enfants. Surtout ceux des autres. Je me demande même s’il existe dans un recoin du monde occidental un seul homme qui peste contre le vacarme abrutissant de ces satanés bambins.
On serait au moins deux.
Lorsque je dis "pester", j’emploie un terme qui ne convient guère, car mon mécontentement est tout intérieur et ne se trahit par aucune manifestation.
Pas si fou.
Au contraire, j’espère donner l’impression d’un enthousiasme modéré, un truc du style : "Installez vous confortablement les enfants, ne vous inquiétez pas, cela ne dure pas longtemps. A peine une heure, soixante minutes, Plus que cinquante-neuf, que cinquante-huit, que cinquante-sept..."
Au fond, je n’ai jamais cessé de rayer toutes les minutes de ma vie.
Les minutes, puis les jours.
Cela a commencé à la communale, où je noircissais calendrier après calendrier, du cours préparatoire jusqu’au certificat d’études... J’ai continué à l’armée, des classes jusqu’à la quille. Ca continue.
Encore et encore.
Je vis des jours rayés... Je dois être un drôle de zèbre.
Rien d’ailleurs n’est plus rayé dans mon souvenir que les vacances. Je n’ai pas de chance avec elles.
D’abord, parce que je n’en ai pas eu. J’ai traîné mon ennui de gosse le long des kilomètres de rideau de fer... Je sens encore la chaleur du soleil sur le métal ondulé.
J’ai poussé un à un des tonnes de cailloux sur les trottoirs blancs des rues mortes...
Je rentrais à l’école blanchâtre et tristounet, au milieu de copains hâlés par les campagnes où tous avaient des grands-mères... J’en ai rêvé des grands-mères à la campagne !
La mienne habitait au quatrième un placard sur cour, rue Rambuteau. Elle vivait à l’électricité permanente. Elle respirait petitement pour économiser l’oxygène et, dès qu’on était deux dans la cuisine, c’était l’asphyxie...
Bref, c’était le contraire du Loir-et-Cher.
J’ai rêvé du Loir-et-Cher comme les gosses d’aujourd’hui rêvent du Wyoming. Mes copains partaient tous dans le Loir-et-Cher, c’était le grand pays des grand-mères dans les années quarante et...
Mais qu’est-ce qui me prend ce matin ? Je devrais bondir, dynamique et effervescent, chantonner en enfilant mon uniforme de joyeux estivant, casquette à visière et sandales plastiques, pom, pom, pom...
Et au lieu de ça, je me paie un battement de coeur, lourd et épais, la tête sous les draps, à espérer, à tant vouloir que les aiguilles soient plus lentes, que cinq heures n’arrive jamais.
C’est l’une des caractéristiques de ma vie : ou je raie les heures écoulées, où je souhaite désespérément que l’heure à venir ne vienne pas.
Où j’en étais ? Ah ! oui, le spectacle.
Et bien cela s’est bien passé. Les enfants ont adoré même qu’un élève a lancé - en partant ! -, cette phrase lapidaire :
- C’était super Monsieur, je vous veux dans mon équipe The Voice !