"Les missiles.
Le 16 octobre 1962, Kennedy fut averti que les Soviétiques avaient l'intention d'installer des missiles sur le sol cubain : un avion espion avait photographié les rampes de lancement que les Russes construisaient dans la partie occidentale de l'île.
Toute la stratégie des Soviétiques reposait sur l'hypothèse qu'ils pourraient installer les missiles sans que les Américains puissent les en empêcher.
Après tout, Kennedy n'était-il pas un jeune président inexpérimenté ?
L'échec cuisant de la baie des cochons ne devait-il pas l'inciter à la plus grande prudence ? Oserait-il s'opposer à la volonté des Soviétiques au risque de déclencher une guerre nucléaire ?
Mamie se posait toutes ces questions.
Elle n'était pas la seule.
De tous ces jours où se décida le destin du monde, Robert Kennedy laissera un écrit poignant qui ne sera publié qu'après son assassinat. Il avait noté : "Le monde était au bord de l'abîme : la destruction nucléaire et la fin de l'humanité." Son frère John demande à tous ses membres le secret absolu :
- "Pas un mot à vos femmes, pas une allusion à vos secrétaires."
La consigne a été suivie.
Malgré l'extraordinaire pression des médias, rien n'a transpiré.
Kennedy veut détruire les missiles. Stevenson confiera qu'il a été "consterné de voir que Kennedy avait songé d'emblée à une attaque aérienne".
Alors bombardement ou blocus ?
Assis dans son fauteuil à bascule dont la forme apaise parfois ses douleurs dorsales, Kennedy, après avoir écouté Dean Acheson, dira à mi-voix :
- J'ai l'impression que, cette semaine, je vais vraiment mériter mon salaire.
Le général David M. Shoup, qui commande les Marines, se permet alors une exclamation toute militaire :
- Vous êtes dans un sale pétrin, monsieur le président !
Réplique de JFK :
- Vous y êtes avec moi !
On rit ce qui soulage les nerfs de tout le monde, mais on a encore rien décidé. Ce qui a frappé les acteurs de la crise, c'est le calme du président. Il écoute plus qu'il ne parle. Signe de tension nerveuse plus aiguë qu'à l'accoutumée, il se tapote parfois les dents avec l'ongle de l'index.
Chacun attend alors la visite de Gromyko, le ministre soviétique des affaires étrangères afin de le faire parler pour en savoir plus.
Sera-t-il dupe ?
Il n'en est rien. Gromyko demeure ce qu'il a toujours été : une tombe !
Alors, les Etats-Unis, pourtant, réagirent. Kennedy rejeta l'idée d'une frappe militaire contre Cuba pour détruire les missiles. Cela aurait, à coup sûr, déclenché la guerre avec l'URSS. Ce sera donc le blocus. Il faut avertir les alliés.
Le plus coriace sera - comme il le démontre depuis des années - Charles de Gaulle. Kennedy admire le vieux chef d'Etat. il a fait de ses Mémoires de guerre son livre de chevet.
Dean Acheson fonce vers Paris. Quand il montre les photos des missiles prises par les U-2, le Général ne songe pas à dissimuler son admiration pour la technique utilisée :
- C'est formidable !
Il interroge :
- A votre avis, qu'est-ce qui a pu inciter les Soviétiques à mettre en place leurs fusées à Cuba ?
- Je pense, répond Acheson, que Khrouchtchev a tenté un coup de poker.
De Gaulle opine énergiquement du chef. Quand Acheson développe en détail les dispositions qui vont être prises pour établir un blocus autour de Cuba, l'homme du 18 juin déclare :
- C'est exactement ce que j'aurais fait.
Khrouchtchev ne comprendra pas l'attitude de Kennedy. Déjà qu'il avait rencontré beaucoup de difficulté avec Eisenhower. Pourtant, c'était un homme de sa propre génération :
- Comment pourrais-je m'entendre avec un homme qui est plus jeune que mon fils ?
Le pape Jean XXIII supplie les nations de sauver la paix. Des signes, pourtant. Un diplomate russe rencontre un journaliste américain. Il fait connaître le désir de son pays de trouver une porte de sortie.
Que faut-il penser de ce genre de contact ?
On en est là quand le vendredi 27 octobre, Kennedy reçoit un message de Khrouchtchev. Un très long et très véhément message. Les spécialistes reconnaissent le style si personnel du premier soviétique. Cette lettre, celui-ci n'a laissé à personne le soin de l'écrire.
Elle apparaît "comme le cri d'épouvante d'un homme prisonnier d'un cauchemar". Khrouchtchev adjure Kennedy d'arrêter la course à l'abîme. Longuement, il évoque les horreurs de la guerre. De toute façon, Kennedy doit bien savoir que des fusées à elles seules ne peuvent représenter un potentiel d'attaque.
Derrière, il faut des troupes.
Où sont-elles, ces troupes ?
La conclusion de Khrouchtchev ressemble à une adjuration : "Si vous n'avez pas perdu votre sang-froid, si sous vous rendez vraiment compte où cette affaire risque de nous entraîner, alors, monsieur le président, vous et moi devrions éviter de tirer sur les extrémités de la corde dans laquelle vous avez noué la guerre. Vous-même connaissez les moyens terrifiants dont dispose nos deux pays."
A la Maison-Blanche, on respire. Cet optimisme ne dure pas. Le 27 octobre, Khrouchtchev, dans un style plus froid, fait savoir qu'il enlèvera ses missiles de Cuba si les Américains ôtent les leurs de Turquie. Une vague de colère secoue Kennedy.
Contre l'horreur nucléaire un seul barrage va s'élever : celui de l'intelligence. Robert Kennedy propose de répondre non pas au second message mais au premier qui reste, lui, parfaitement acceptable.
Les Etats-Unis s'engageront à faire cesser le blocus et à ne jamais envahir Cuba. En revanche, l'URSS retirera ses fusées de l'île. JFK se saisit de l'idée. Sa réponse à Khrouchtchev vole sur les ondes.
Tout est désormais une question d'heure. La nuit qui vient sera la plus longue. Ce dimanche dont l'aube se lève verra des foules de toute origine, de tout âge, en prière dans les églises et les temples.
Ne reste-t-il plus que cela, la prière ?
La paix va finalement triompher. Ici et là, dans le monde, les boutefeux ont crié victoire et salué sans ménagement la défaite de Khrouchtchev.
On peut, avec Mamie, se réjouir que Kennedy, ayant gagné au points, se soit gardé "contre la tentation de transformer son succès en KO".
A l'horloge de l'histoire, il était moins cinq.
Si la paix s'est en définitive trouvée sauvegardée, c'est parce que, aux leviers de commande des blocs antagonistes, se tenaient, vigilants mais lucides, deux hommes de bonne volonté.
Quand bien même, ma Mamie m'a dit qu'on avait eu chaud aux fesses...
Collection "Mamie explore le temps"
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