"Une photo, là, sous vos yeux.
Le premier baiser d'un homme et d'une femme qui s'enlacent sur les berges du Cérou (une petite rivière qui danse autour de Carmaux).
A gauche, Jean - trente-sept ans - porte un pull en laine clair. Il aime rouler en 4L, porter des slips Rasurel et couper les champignons avec un couteau Opinel.
A droite, Madeleine - trente-quatre ans - une jupe grise et un haut blanc. Madeleine aime rouler en Vélosolex, faire le ménage avec une éponge Spontex et boire son café dans un verre Duralex.
Regardons-les tous les deux :
Jean se tient très droit comme les hommes qui ne veulent pas céder un centimètre de leur taille.
Madeleine, elle, ne présente ni l’attrait de la jeunesse, ni celui d’une réelle beauté. Je sais même de source sûre (ma Mamie) que son instruction laisse à désirer.
Pourtant, elle séduit. Dès qu’on la rencontre, on souhaite la revoir, on la recherche, on l’invite.
Bientôt Jean lui-même va prendre rang parmi ses prétendants.
Ce que Madeleine ne saura que bien plus tard, c’est que "son" Jean avait été - de son propre aveu - "frappé de la grâce de son maintien et de la dignité naturelle de ses mouvements."
Comme écrit ma Mamie dans ses mémoires : "Et c’est ainsi que tout commença entre Madeleine et Jeannot".
Mais ce début, parlons-en justement. Quel est le départ ? Est-ce un regard ? Un sourire ? Une voix aux sons caressants ? Un murmure frémissant, peut-être ?
Pourquoi pas, après tout. La vie est tellement si amère si l'on ne croit pas aux chimères.
Et pourquoi cette étreinte ? Un besoin de tendresse ? Un simple baiser pour que le chagrin soit vite apaisé sûrement ? A moins que ce ne soit qu'un serment qui rassure pour briser la blessure ?
Ça se tient. Il est si doux - parfois - d'être un peu fou.
Oui mais non.
Si Madeleine et Jean s'embrassent d'une telle façon, c'est pour une raison bien déterminée que ma Mamie m'a racontée...
Figurez-vous que - juste avant que le photographe appui sur le déclencheur - , Madeleine a dit à Jean cette phrase bouleversante :
"Parlez-moi d'amour Jeannot, redites-moi des choses tendres. Votre beau discours, mon coeur n'est pas las de l'entendre".
Il n'en fallait pas plus pour que Jeannot soit cloué.
Pour mieux enfoncer le clou, Madeleine a alors ajouté dans un murmure :
"Et pourvu que toujours, vous répétiez ces mots suprêmes : je vous aime".