"Premier du canton.
Pâques 1931, Servio, qui fête ses cinq ans, commence l'école. Il y va de bon coeur. Il aime la classe aux murs épais, l'odeur de la craie et du poêle "chargé" le matin par les deux élèves de "semaine", les encriers de porcelaine blanche remplie d'encre, le tableau noir, et pendue aux murs par leurs deux trous cerclés de cuivre, les cartes de géographie Vidal de la Blache.
Les enfants vont à l'école six heures par jour, sauf le jeudi.
Dans la cour de récréation, d'un côté du mur de séparation, les filles jouent à la marelle, et de l'autre, les garçons aux gendarmes et aux voleurs. Le préau abrite les "cabinets" à l'odeur de grésil.
Tout lui plait : les récitations, les exercices d'arythmétique, le calcul mental, la leçon de choses et la dictée avec prononciation distincte des consonnes finales. Servui se sent moins à l'aise avec la rédaction écrite mais sa maîtresse l'encourage.
Son carnet le prouve, il est bon élève. Il collectionne les bons points. Dix bons points, c'est un billet de satisfaction., il peut obtenir un billet d'honneur.
Le jour de l'examen, Mme Ménard, de peur que les élèves qu'elle présente défaillent, leur a acheté une banane à chacun qu'ils mangent sur le chemin.
A midi, retour à la maison où ô surprise la mère de Servio a fait cuire une côtelette de porc pour lui seul.
En fin de journée, l'inspecteur primaire, sur le perron de l'école, proclame les résultats devant la foule des parents et des élèves : Servio est reçu ! Premier du canton !
Ses parents pleurent, se rengorgent puis offrent au petit son premier livret de Caisse d'épargne et le vélo rouge demi-course Peugeot de ses rêves.
Sa voisine à qui il rapporte chaque jour le journal Paris-Soir de l'épicerie en échange de vingt sous à la fin du mois, le félicite et l'emmène pour la première fois de sa vie au restaurant.
14 juillet 1939. C'est le jour de la fête nationale et de la fête de l'école, accompagnée par le chant des enfants :
"Honneur et gloire à l'école laïque
Où nous avons appris à penser librement
A défendre à chérir la grande République
Que nos pères jadis ont faites en combattant.
Elle nous enseigna des jours fameux l'histoire
En formant notre esprit, elle éleva nos coeurs,
Faisant revivre en nous l'éternelle mémoire
Des héros, des martyrs, des émancipateurs.
Servio monte sur l'estrade avec les heureux lauréats pour recevoir ses prix - des livres - sous les applaudissements des parents.
Rideau.