"Mémoire de haute chevauchée.
Il se sent jeune, plus que jamais, peut-être. Serait-ce parce que, précisément, il a beaucoup oublié ?
Et puis, il y a tout ce dont on ne va pas parler. Pourtant, le souvenir ici ne pourrait être que partagé, c'est sûr.
Elle ne peut pas avoir oublié ce jour où il avait soulevé sa robe pour lui ôter sa culotte. A moins - au fait ? - qu'elle ne l'ait ôtée d'elle-même ? Ils n'avaient pas échangé un mot, c'est certain.
Certain aussi qu'il avait vu la fente à peine bordée d'un léger duvet. La première qu'il voyait. Il ne savait pas qu'en faire : regarder, toucher, mettre son...
Vrai qu'il avait dû se faire violence pour enlever cette culotte de coton - on n'a pas le droit de faire ça. Propre ?
Des détails qui comptent. Alors, souvenir ?
On a entendu dire, plus tard qu'elle l'enlevait facilement. Ce qu'on disait, que personne n'aurait pu confirmer, mais du moment qu'on le disait...
Lui, on ne sait pas où il est né, d'où il vient ni même s'il a un métier. Lui, il se contente de dire qu'il est mutilé. Mutilé de guerre. Ca agace les gens, parce que lui au moins, il est revenu, pas comme tant d'autres.
Son regard, toujours fiché au sol, clignote sans arrêt, derrière de frêles lunettes ; des éclats de ferraille qu'on n'a pas su retirer après la bataille.
On dit de lui que c'est un hypocrite, et même un être fourbe. Ce regard...
Et l'autre.
D'autres disaient avec un air entendu qu'il avait eu un grand chagrin d'amour. Pas avec quelqu'un d'ici mais on ne savait pas où ni qui en avait parlé le premier. Depuis, ça se répétait de l'un à l'autre.
C'est le chagrin et puis la fierté qui l'auraient décidé à partir le plus loin possible.
En tout cas, ça ne s'est jamais oublié. Et tout le monde sait que les marins, ça boit sans soif, alors, lui...
One saura jamais non plus ce que les deux frères ont pu se dire ce jour-là.
Pas plus qu'on ne sait si, étant plus jeunes, ils se parlaient volontiers, s'ils avaient joué ensemble, s'ils se disputaient férocement comme on doit normalement faire entre frères.
Il n'y a jamais eu dessus le moindre témoignage, on ne rapporta jamais le moindre écho de ce qui aurait pu être une querelle, la moindre farce qu'ils auraient monté en commun, le plus petit rire, une impertinence adressée à quelque vieille personne, un menu larcin qu'on garde secret.
Une commune désobéissance qui font, plus tard, de si jolis souvenirs.
Tout au plus, sait-on que la mode, à cette époque, était la recherche des nids de pie que l'on allait visiter en haut des arbres pour en ramener l'oisillon encore nu dont on ferait un esclave domestique.
Sans grand risque d'erreur, on peut avancer que tous deux se plièrent à ce rituel qui témoignait tout à la fois d'un certain courage pour grimper et surtout descendre d'une seule main, l'autre tenant le poussin, comme d'ne innocente cruauté, sans compter qu'il fallait une grande patience pour ensuite donner trois fois par jour à l'animal sa becquée de mie de pain trempée dans du lait.
Ne garde-til pas en mémoire des souvenirs autrement plus anciens ? Le martinet. Dix ans plus tard, il était encore suspendu à un clou dans la chambre où l'on avait entassé tout ce qui restait du naufrage. La douleur de la fouaillée n'a pas laissée de souvenir, elle avait pourtant dû être cuisante.
Et les souvenirs de guerre.
Tous ces furieux corps à corps dans les tranchées où chaque mère, chaque épouse, chaque fiancée pensant : Pourvu que le mien n'y soit pas ! On s'avance, entre les arbres, on se cache derrière un tronc, on tire au jugé. Alors une balle en plein front comme avait dit le maire ?