"Le Petit Journal, là, sous vos yeux.
C'est dans ce journal qu'on trouve une photo célèbre. La photo ? Au centre, assise, la Reine Victoria. A sa droite... Trois générations saisies par l'objectif. Voilà qui dispense Mamie de bien des explications.
Le 23 juin 1984, le père de celui dont ma Mamie va vous raconter l'histoire avait noté dans son journal : "A 10 heures. Naissance d'un charmant petit garçon. Il pèse huit livres."
Comme le lecteur peut s'en douter, les prédictions n'ont pas manqué autour de ce berceau. La plus curieuse demeure celle de Ralph Shirley qui, en 1903, se déclara sûr que le prince de Galles n'accéderait jamais au trône : s'il y montait, jurait-il, ce serait guère pour y rester, car son frère Berthie le remplacerait aussitôt.
Simple coïncidence ou prescience réelle ?
Si on tourne les pages de son album de photographies, on reste stupéfait devant la garde-robe que l'on contraint cet enfant à endosser.
Le costume marin, le kilt, le costume de chasse et toutes les tenues imaginables de cérémonies. Il grandit - peu -, le visage se forme.
Pourquoi ne sourit-il jamais ? Pourquoi, le regard, presque toujours, est-il si triste ?
La vie suit son cours. Le prince se heurte à son père qui ne comprend pas le célibat de son fils. Dire que le prince est entièrement à l'aise dans une telle situation serait contraire à la vérité.
Lui-même a écrit là-dessus des phrases qui en disent long : "Quand il s'agissait de mariage, je ne voulait pas me hâter. Et ma vie restait toute pénétrée d'un sentiment d'insatisfaction."
Qui sait ce qui peut arriver à un homme insatisfait ?
11 janvier 1931. Ce samedi-là, le temps est exécrable. La voiture du prince se fraye un passage à travers l'épais brouillard qui recouvre le Leicestershire. Quant il rentre dans le salon où brûle un long feu de bois, on lui présente un couple qu'il ne connaît pas : Mr. et Mrs Ernest Simpson. Lui est courtier maritime. Elle, Wallis, une Américaine de Baltimore, plonge dans la révérence exigée par l'étiquette. Ils échangent deux mots. Pas plus.
Qui pourrait le croire ? Un roman sans exemple vient de prendre son élan qui, pendant une décennie, surexcitera l'opinion anglaise et retiendra l'attention passionnée du monde entier en général et de Mamie en particulier.
Qui est donc cette Wallis Simpson ?
Penché sur la photo de sa fille qui n'avait que cinq mois, son mari avait dit avec une extrême douceur : "Je crains que physiquement elle soit une Warfield. espérons que moralement, elle sera, comme toi, une Montague."
Qui l'emportera de la solidité austère des Warfield du Maryland ou du charme, de la fantaisie, de l'esprit des Montague de Virginie, où la fortune est rare mais chez qui les femmes sont jolies ?
Enfant, cette petite n'était pas une beauté. On peut la décrire comme un peu "spéciale".
Comme si elle tenait à accentuer une différence, elle rassemble ses cheveux - ils sont extrêmement noirs - en une natte derrière la nuque, dégageant ainsi des pommettes aussi hautes que saillantes. l'image d'une Indienne vient tout naturellement à l'esprit. D'ailleurs, autour d'elle, on l'appelle : la Squaw.
Le bas du visage est un peu lourd mais le corps est mince et souple. De toutes les élèves, elle est sans doute l'une des plus pauvres. Les autres enfants le savent. Il ne manque pas de filles pour lui crier au visage que sa mère "prend des pensionnaires" : insulte majeure. Alors, elle se jette sur l'ennemie et lui fait payer son audace à grands coups de pied dans les tibias.
En mars 1914, à dix-huit ans, Wallis quitte le collège. L'habitude est, en un tel cas, qu'une élève appose une pensée sur le livre de l'école. En général, ces réflexions puériles ont trait aux charmes du collège, à l'intérêt des études ou aux amitiés que l'on y a nouées.
Wallis elle, appose simplement trois mots sur le registre : All is love, "tout est amour". Un programme.
Elle participe ensuite au bal des débutantes du Bachelor Cotillon où elle rencontre le plus séduisant des aviateurs : Winfield Spencer.
Ce Win bénéficie-t-il d'une fortune personnelle ? Non, aucune.
Et s'il se tuait en vol ? Sa mère sait trop, hélas, le sort qui attend une jeune veuve sans argent. Wallis balaie les objections. Elle est amoureuse, un point c'est tout. Sa mère soupire mais consent : si Wallis a pris une décision, il serait vain de tenter d'y faire obstacle.
Le mariage sera célébré à l'église de Baltimore.
Parmi les demoiselles d'honneur figure la meilleure amie de pension de Wallis, Mary Kirk.
Retenons ce nom.
Un charmant garçon, ce Win. On ne lui connaît qu'un défaut : il boit.
Quand elle le voit ivre, Wallis le déteste. Le lendemain, il jure de ne plus recommencer et Wallis retrouve avec bonheur le Win des fiançailles.
Le lendemain, il accepte un premier verre. D'autres s'ensuivent. Les réconciliations deviennent de plus en plus difficiles.
Quand les amis sermonnent Win, il explique que, s'il boit, c'est parce qu'il ne supporte pas que sa femme soit si coquette. L'est-elle ? Elle recherche la compagnie des hommes, elle aime les longues soirées où, après avoir dansé et bu, on en vient aux confidences.
Elle n'apprécie rien tant que la compagnie de ceux qui la font rire. Cela suffit à exaspérer la jalousie d'un marie amoureux et peu enclin à l'humour. Le succès de Wallis s'expliquent aisément : l'adolescente de naguère s'est muée en une jeune femme épanouie.
Quand elle rit, on découvre sur son visage un réel éclat.
Le 11 novembre 1918, la célébration de l'armistice déchaîne l'enthousiasme de tous les Américains. Pas celui de Win.
Il boit plus que jamais. Sa jalousie à l'égard de Wallis a pris d'incroyables proportions.
L’état-major a sanctionné les beuveries de Win en l’affectant, en Asie, au commandement d’une canonnière. Ses lettres écrites de Hong-Kong témoignent d’une existence particulièrement morne.
Il se désole de ne pas avoir assez d’argent pour s’amuser et, il lui semble, affirme-t-il, devenir peu à peu complètement idiot.
Jamais, depuis leurs fiançailles, il ne s’est montré aussi tendre. Le jour vient où il la supplie de le rejoindre en Chine. Voilà qui finit par émouvoir Wallis. Qui sait ? Win s’est peut-être amendé ? Brusquement, elle se décide. Elle le rejoindra.
Il me faut ménager ici une halte au lecteur.
Parmi les quintaux d’infamies que l’on a déversées sur celle qui devint la duchesse de Windsor, l’épisode pékinois semble avoir particulièrement inspiré les racontars.
On résume :
1) Quand Wallis arrive à Pékin, c’est en qualité d’agent secret américain. Au service de qui ? Dans quel but ? Nul n’est capable de l’expliquer.
2) C’est en Chine que Wallis, en fréquentant les maisons de prostitutions, à appris les caresses «secrètes» qui, plus tard, devraient rendre le prince de Galles fou d’amour. Quelles caresses ? Les détails croustillants varient à l’infini. Ma Mamie a cherché à vérifier ces informations, elle n’a jamais su où se trouvait ce "dossier chinois", ni qui l’avait établi.
3) Wallis aurait noué en Chine une liaison passionnée avec un certain Alberto de Zara, «bel attaché naval de l’ambassade d’Italie». Il est exact que ce Zara parle d’elle dans ses mémoires, mais surtout à propos des concours hippiques auxquels elle a assisté avec lui : "Elle portait une coiffure classique lui dégageant le visage et ses yeux et à laquelle elle est restée fidèle jusqu’à ce jour."
Que de "passion torride" en effet dans cette description !
4) De plus en plus fort : Wallis aurait été enceinte des oeuvres de Ciano.
Elle a avorté en effet, un avortement qui a eu de graves complications qui lui ont ôté tout espoir d’avoir un enfant. C’est de là, affirme-t-on encore, que naquirent ses sympathies pour le fascisme.
5) Wallis aurait été une protégée de la mafia chinoise qui l’aurait fait accéder aux secrets des jeux de hasard truqués. Elle aurait gagné, au baccarat, à la roulette et aux vingt-et-un, des "sommes considérables".
Au point où nous en sommes, le lecteur peut constater que l’on a imputé à Wallis, à l’exception de crimes de sang, la totalité de ce dont on puisse accuser quelqu’un.
Bonne occasion de méditer une fois de plus sur la forte constatation de Talleyrand : "Tout ce qui est exagéré est insignifiant".
Elle dira que Pékin fut la ville qu’elle a le plus aimé au monde, avec Paris. Peu à peu, elle y oublie Win et ses problèmes.
Elle s’est éloignée délicieusement du réel. Un matin, pourtant, elle s’interroge. Va-t-elle plus longtemps se fuir elle-même ? Eternellement se leurrer ? Il lui faut rentrer en Amérique et s’occuper sérieusement de son divorce. Win ira jusqu’à la reconduire à Washington. Pas au-delà.
Ils ne se reverront jamais.
L'histoire vraie de l'attachement passionné qui unit Edward VIII et Wallis Simpson :