"Ce sera une fille !
Tonton Kiko a quatre ans quand la famille s’agrandit. Toute la famille lui annonçait sa venue :
- Alors, mon Kiko, tu vas avoir une petite soeur ?
Il n’y tenait guère. Il préférait ne pas y penser. Une petite soeur tout de même...
Un jour, Papi l'embarque et l’amène devant un bâtiment inconnu pour lui. Au long des couloirs, les gens circulent vêtus de blancs. Dans la chambre ou Papi le fait entrer, il pousse un cri en découvrant Mamie allongé sur un lit, en peignoir rose. Il se jette dans ses bras et elle lui désigne deux berceaux accolés :
- Va embrasser tes petits frères, mon chéri. Ils s’appellent Jacques et Georges.
Usant d’un mot totalement inconnu de mon oncle, elle précise : "des jumeaux". Et la petite soeur ? Pour la première fois de sa vie, tonton a douté de la parole des grandes personnes. Durant la grossesse de Mamie, le médecin accoucheur, professeur à la faculté de médecine d'Albi, n’y avait vu que du feu. Au cours des dernières semaines, il s’émerveillait :
- Quel enfant robuste ! Il y a une minute (montrant le point précis du ventre de sa patiente), il était là et maintenant (montrant l’opposé), il est ici !
C’est après avoir lui-même mis au monde Georges que, penaud - c’était le moins -, il avait murmuré :
- Je crois qu’il y en a un autre...
Ainsi ont pris place, dans la famille, les premiers jumeaux. Tonton Georges m’a toujours dit :
- Je n’ai pas eu d’enfance personnelle. On ne parlait ni de Jacques, ni de Georges. On disait : les jumeaux.
Compliqué les jumeaux, des bébés de quelques mois qui - alternance bien connue des parents de jumeaux - hurlent la nuit chacun leur tour.
Compliqué les jumeaux, surtout pour leurs anniversaires. Infortunés bambins dont la famille équilibre quasi scientifiquement les cadeaux de l’un afin d’éviter toute jalousie de l’autre.
Compliqué les jumeaux, surtout que comme dit Mamie, Georges est tellement narcissique qu'il n'arrête pas de regarder Jacques !
Rideau.