"Spiridon Louys...
Aussi appelé Louys le magnifique, est connu pour être le vainqueur de premier marathon aux JO d'Athènes en 1896. Agé de vingt trois ans, haut de 1,60 m, le regard un peu triste, de fières moustaches qui masquaient difficilement la timidité de ce parfait inconnu.
Plus tard, la légende voudra qu'il ait entendu parler des jeux en faisant paître son troupeau de moutons dans la campagne ceinturant Athènes et qu'il se soit mis en condition de façon mystique, par le jeûne et la prière.
On prétendra, singulière préparation, qu'il passa la nuit précédant la course devant des icônes et des cierges. Et on trouvera à sa victoire des raisons évidentes, en soulignant la frugalité de son existence et l'excellence d'un entraînement naturel propre à cultiver son existence.
En vérité, on ne sait trop si Spiridon Louys passait l'essentiel de son temps à suivre son troupeau ou à courir les chemins pour porter des lettres. Une autre version plus plausible de sa biographie présente en effet cet habitant du petit village de Maroussi sous les traits prosaïques d'un facteur.
Une troisième version prétend qu'il était porteur d'eau et qu'il prépara sa victoire en courant dès sa tendre enfance derrière un âne guidé par son père. Le fait que Pierre de Coubertin ait lui-même accrédité cette thèse bucolique du pauvre berger soudain couvert de gloire n'autorise pas à trancher dans ce sens.
Alors, combien étaient-ils, en ce vendredi 10 avril 1896, à prendre le départ du premier marathon de l'histoire ? 16 ? 17 ? 18 ? 19 ? ou 25 ? Parmi tous les chiffres avancés, il faut sans doute retenir le dernier.
Avertis des risques d'insolation qu'ils courraient et déjà effrayés par la légende maléfique du célèbre soldat de l'antiquité, sept d'entre eux se seraient esquivés à la faveur de la nuit. Un mystérieux Allemand se serait d'autre part perdu en cours de route dans les archives. Il est donc généralement admis que dix-sept athlètes auraient effectivement pris le départ.
Ces jeux furent un désastre pour les grecs, aussi, il était dit que si seulement un enfant du pays gagnait le marathon, tout serait oublié ! Pour stimuler l'ardeur des concurrents grecs, les promesses de cadeaux s'étaient multipliées. Georges Averoff, un riche négociant avait promis une somme astronomique et la main de sa fille à celui de ses compatriotes qui serait vainqueur.
Un certain Dr Theoflaxos avait offert des barriques de vin millésimé. Un tailleur s'était engagé à habillé gracieusement, et un barbier à raser gratis le sauveur de l'honneur national jusqu'à la fin de ses jours.
Le propriétaire d'une chocolaterie avait offert 1000 kilos de chocolats, un boulanger du pain pour toute la vie, et des centaines d'autres gens ce qu'ils avaient de plus précieux, à commencer par leurs bijoux.
Ce jour-là des paysans arrivèrent avec des bovins et des moutons destinés au vainqueur, et la vie de la citée athénienne s'arrêta. A 14 heures précises, quand le roi Georges et la reine eurent occupé leur loge, tout fut en place pour le drame sportif qui allait se jouer.
Mais voyons les frémissants acteurs de plus près. Dire qu'ils sont parfaitement préparés à l'épreuve qui les attends serait abusif. Un seul d'entre eux, le Hongrois Gyula Kellner est prêt. Quant aux autres, ils comptent sur leurs qualités physiques, leur volonté ou... leur bonne étoile.
Comme André Tournois par exemple qui participait à deux épreuves : le 100 mètres et le marathon, sous prétexte que "un jour je parcours une petite distance très rapidement, le jour suivant une longue distance très lentement". Finalement, André Tournois renonça.
Ainsi les voilà partis !
Il est difficile de tenir compte du rapport officiel mais, toujours est-il que Flack, un comptable australien qui travaille à Londres, précède alors Blake, dont l'allure semble particulièrement aisée, et Kellner. Flack a demandé un congé pour se rendre à Athènes à ses frais.
Il se signale par sa haute taille et par le fait qu'il est suivi à bicyclette par le très distingué maître d'hôtel de l'ambassade de Grande-Bretagne, qui porte... un chapeau melon. N'ayant jamais couru plus de dix miles auparavant, soit à peine plus de 16 km, sa double victoire dans le 800 mètres et le 1500 mètres lui a fait dire à propos des autres candidats du marathon : "Ils ont tous la trouille de moi !"
Pour l'heure, Spiridon Louys passe avec plusieurs minutes de retard sur lui. Informé de l'ampleur effrayante de son handicap par les paysans qui se trouvaient là, le futur vainqueur aurait répondu : "Ne vous inquiétez pas. Je les rattraperai et les battrai tous."
Déjà quelques concurrents se sont évanouis et trois kilomètres supplémentaires suffiront pour dérégler la belle foulée de Blake : au 23ème, vidé de ses forces, l'américain abandonne.
Parti trop vite, le français Lermusiaux s'effondrera au 32ème km. Ramassé dans un état comateux, il reprendra ses sens dans une petite voiture tirée par deux poneys et versera des larmes sur ses espoirs anéantis. A ses côtés, gisait Flack évanoui, qui s'était pourtant juré d'accompagner le meilleur Grec au moins jusqu'à 4 km de l'arrivée.
Revenons à la course. Lermauniaux est éliminé et Flack a pris la tête. Pas pour longtemps ! Dans son sillage se profile en effet la gracile silhouette de Spiridon Louys. L'allure harmonieuse et efficace, le Grec progresse avec aisance. Encore un kilomètre et il est sur les talons de Flack.
Puis il passe.
Du 33ème au 36ème, l'australien se maintient à moins de 20 mètres. Pour parvenir à le lâcher, Louys devra sprinter brièvement. C'est alors que Flack commencera à vaciller dangereusement avant d'aller rejoindre Lermusiaux dans la position horizontale.
Il reste moins de 4 km à parcourir, et Louys précède de très loin son compatriote Vassiliakos et le Hongrois Kellner. Autant dire qu'il ne peut plus être battu. L'état de fraîcheur de ce futur vainqueur surgit de nulle part ne laisse pas d'étonner.
A tel point qu'on a pu suggérer qu'il avait pris des raccourcis et même que le colonel Papadiamantopoulos, dans son ardeur patriotique, s'était laissé aller à lui faire un bout de chemin en croupe sur son cheval. Il est d'autant plus difficile de se faire une idée précise que Spiridon n'avait terminé que 5ème d'une épreuve de sélection et qu'il laissa loin derrière lui lors de sa victoire des compatriotes qui l'avaient alors précédé et qu'il ne courut jamais plus après.
Impossible, dans ces conditions, de se faire une idée de sa vraie valeur athlétique !
Quoi qu'il en soit, selon certains témoignages, la foule rompit les barrières et envahit le stade. Des colombes furent lâchées. Un Grec avait gagné et le marathon olympique avait connu un succès colossal. Ce fut aussi le début d'une longue série de scandales.
En effet, à peine avait-il franchi la ligne en 4ème position qu'il s'était plaint auprès du jury. Il en était certain : sur la fin de course, deux adversaires seulement le précédaient. Kellner ne pouvait en jurer, mais il lui semblait bien avoir vu Spiridon Velokas, classé 3ème, descendre d'une charrette.
Rapidement, on s'était aperçu que Velokas avait parcouru nombre de kilomètres caché dans une voiture tirée par des chevaux et qu'il n'avait fait usage de ses jambes qu'à l'approche du stade. Naturellement, il fut disqualifié.
"Dieu sait ce qu'il se serait passé si un Grec n'avait pas gagné !", dira Edwin Flack revenu à lui.
Spiridon Louys, quant à lui, devint un objet de vénération et un motif de réjouissance. Au soir de son triomphe, Athènes s'embrasa.
Des feux d'artifice éclatèrent, on dansa tard à la lumière des lampions. Bref, ce fut du délire. Tout le monde voulait fêter le héros : un hôtelier lui signa des bons de repas pour chaque jour des dix années à venir ; une personne envoya une montre, une autre un étui à cigarettes en or ; une petite ferme lui aurait été offerte, ainsi que la main de plusieurs jeunes filles.
Entra-t-il en possession de tous ses cadeaux et de ceux qui avaient été promis avant la course ? Rien n'est moins sûr.
Une chose est certaine. Spiridon Louys n'épousa ni la fille de la famille Averoff, ni cette veuve américaine de vingt-cinq ans, riche de 4 millions de dollars, accourue en Grèce pour devenir la femme du vainqueur du marathon. Il n'accepta pas la main des demoiselles qu'on lui proposa et se maria un an plus tard avec sa promise, Eleni, qui lui donna trois fils avant de le laisser veuf en 1927.
Fin de l'histoire.