"Pietri Dorando
Né le 16 octobre 1885, à Mandrio, ce petit bonhomme haut de 1.59 m vécut longtemps à Carpi, et non pas à Capri, comme on l'écrit trop souvent. Si l'homme était petit, la personnalité de l'athlète était grande.
Confiseur de profession, sa réputation prit une renommée internationale, avec un ensemble de performances qui en dit long sur ses qualités d'endurance. Qu'on en juge ! A Rome, il s'est classé deuxième du 1 000 mètres et premier du 5000 avant de gagner dans la foulée le titre des 20 kilomètres. Rien que ça.
Le voici au départ du marathon des Jeux de Londres où pour la première fois les concurrents auront à parcourir. 42 kilomètres, 194 mètres et 99 cm, distance qui, à un centimètre près, deviendra classique.
A trois kilomètres de l'arrivée quand on annonce l'arrivée du futur vainqueur, une immense clameur s'élève des gradins. C'est alors qu'apparaît Dorando en piteux état. Il reste un demi-tour de piste à parcourir quand Dorando, égaré, commence à s'engager dans la mauvaise direction.
On le remet dans le bon sens. Et voilà qu'il s'effondre. Il s'est évanoui, agité par des compulsions grotesques. Le public est à présent fasciné et horrifié. "Aidez-le !" "Aidez-le !", supplie-t-on là. "Pitié pour lui !", réclament ailleurs des voix indignées.
C'est l'hystérie collective lorsque Pietri, au prix d'un effort inouï, parvient à se dresser sur ses jambes flageolantes. Autour de lui, propulsés par la crainte du pire, tous ceux qui se trouvaient sur la pelouse sont accourus.
L'histoire retiendra que parmi eux se trouvait l'écrivain Artur Conan Doyle, le célèbre créateur de Sherlock Holmes. Dorando, nom sous lequel on l'a inscrit par erreur apercevra alors à travers un brouillard opaque l'ombre de Hayes qui refaisait son retard.
Cinq fois, la même scène se reproduira. Alors rassemblant ses propres restes d'énergie, il rétabliera l'équilibre chancelant de son corps martyrisé. Il franchit alors la ligne d'arrivée, porté littéralement par le Docteur Burger et Jack Andrew. Ils viennent à peine de le lâcher qu'il s'écroule.
Son calvaire est terminé.
Il sera finalement disqualifié.
Immédiatement, il fallut transporter Pietri d'urgence à l'hopital sur une civière. Pendant de longues heures, il resta entre la vie et la mort.
Et quand il reprit connaissance, ce fut aussitôt pour protester contre sa disqualification et donner des évènements une version à... dormir debout :
"J'étais très bien quand j'ai fait mon entrée sur la piste. Quand j'ai entendu la foule crier et que j'ai su que j'avais pratiquement gagné, j'ai senti un frisson me parcourir et mes forces me quitter. Je suis tombé plusieurs fois mais je n'ai pas perdu conscience et si on ne m'avait pas aidé, je suis sûr que j'aurais pu terminer tout seul."
Le lendemain, dernier jour des jeux, eut lieu la cérémonie. Le défilé dura plus d'une heure quand, soudain, le comte Bosdari s'écria : "Dorando !"
Lorsqu'elle le reconnut, la foule lui fit un formidable triomphe. Pietri s'avança alors vers la reine Alexandra. On prononça au micro un simple mot : "Dorando", auquel répondit une ovation extraordinaire. Des milliers de poitrines libéraient d'un seul coup l'angoisse qui les avait oppressées la veille.
Le héros malheureux s'inclina respectueusement, sa casquette à la main, sans chercher à cacher son émotion. Ce qui suivit appartient à la légende dorée des jeux.
Mais cela aurait tout aussi bien marquer la fin d'un conte de fées. "Je n'ai ni diplôme, ni médaille, ni lauriers à vous remettre, monsieur Dorando, dit en effet la reine. Mais voici une coupe d'or et j'espère que vous ne rapporterez paas de notre pays que des mauvais souvenirs de notre pays." Pietri s'en saisit et fit un long tour d'honneur qui déclencha des salves d'applaudissements."
L'histoire de la fin pathétique de cette course fit le tour du monde. Aux Etats-Unis, un jeune chanteur Irving Berlin, se tailla un beau succès en composant une chanson simplement intitulée Dorando.
Celui qui demeure le plus célèbre vaincu des jeux se fit surprendre par la mort le 17 février 1942, à San Remo. Sa gloire avait été telle en Italie qu'un usurpateur, s'emparant de son identité, avait eu des obsèques grandioses quelques années plus tôt. Lorsqu'il mourrut effectivement, le monde avait d'autres soucis, et il fut enterré discrètement.
Fin de l'histoire.