"Une photo, là, sous vos yeux.
Une photo d'Esther Guimond, une des courtisanes les plus en vue du second Empire. Elle était très "à la mode".
Esther - jolie prénom - savait à peine écrire. Elle ne manquait pas d'un certain esprit populacier qui plaisait à ses clients habituels : Plonplon - encore lui ! - Emile de Girardin, Roqueplan, Dumas fils... Elle ne rougissait nullement de son "état". Un jour, débarquant à Naples, elle s'entend demander sa profession par les douaniers :
Sa réponse fuse : "Rentière."
On ne la comprend pas. De nouveau, on s'encquiert. Alors d'une voix éclatante, elle lance :
"Putain ! Et retenez-le bien pour le dire à l'Anglais qui est là-bas."
Elle prenait plaisir à susciter les jalousies de ses amants, les rivalités de ses amies. Elle était méchante comme la galle. C'est à cause d'elle, affirme-t-on, que se tua Mme Bazaine.
Frédéric Loliée a tracé d'elle un portrait accablant : "Elle employa un génie infernal à brouiller les gens, à jeter le doute où la colère dans les âmes, à susciter la discorde à travers les unions régulières ou irrégulières... Elle jouissait avec une inconscience parfaite des discordes qu'elle avait causées."
Au contraire d'Anna Deslions qui semait autour d'elle des tragédies sans le vouloir - tout en restant "bonne fille" - Esther Guimond, femme redoutable, les sucitait, en parfaite connaissance de cause.
Il y a une justice immanente, même pour les courtisanes. Cette femme qui avait tant fait le mal mourut d'un cancer, dans des souffrances atroces. Le comte de Lagrené, qui connaissait dans le détail ses malfaisances passées, vient lui rendre une dernière visite. Il la trouva "comprimant ses entrailles de ses mains crispées."
"J'ai là, soufflait-elle, comme un chacal qui me dévore. Oh ! Pourquoi dois-je souffrir ainsi !"Et elle ajouta dans un murmure :"Moi qui n'ait fait de mal à personne !"
Lagréné la quitta. Dans l'antichambre, attendaient les domestiques effarés. Lagréné leur jeta :"Allez chercher le médecin : elle a le délire !"
Rideau.