"La môme.
Née en 1915, elle fait ses débuts discographiques en 1935 chez Polydor, grâce à Jacques Canetti. Le découvreur de talents par excellence, homme de l'ombre et personnage clé de la chanson française. Piaf enregistre pour cette compagnie jusqu'en 1945, période durant laquelle elle connaît des fortunes diverses.
Elle se situe alors encore clairement dans la double tradition de la chanson réaliste ("Les mômes de la cloche") et de sa contrepartie fantaisiste ("La java de cécigue"). Elle est alors en concurrence avec d'autres chanteuses comme Lucienne Boyer, son aînée qui a obtenu le premier grand Prix du Disque de l'histoire en 1930 avec "Parlez-moi d'amour" et qui, en 1939, épousera Jacques Pills... le futur mari de Piaf.
Dans les années 40 et 50, on lui opposera d'autres chanteuses, comme Lucienne Delyle qui triomphe en 1942 avec "Mon amant de Saint-Jean" et qui restera très populaire au cours de la décennie suivante. Ou Yvette Giraud qui connaîtra un immense succès avec "Mademoiselle Hortensia" et qui fera par la suite une grande carrière internationale, notamment au Japon, avec des titres comme "La danseuse est créole" ou "Avril au portugal".
Ou encore Jacqueline François qui connaîtra un destin assez similaire avec "Ce n'était pas original", "C'est le printemps", puis "Mademoiselle de Paris" qui dépasse le million d'exemplaires... Elle reçoit le Grand Prix du Disque en 1949 pour "Les levandières du Portugal".
Seulement voilà, comme dit ma Mamie, "la môme", comme on appelle encore Piaf ces années-là, possède déjà quelque chose que les autres n'ont pas, quelque chose d'indéfinissable qui fait qu'aujourd'hui, on peut encore l'écouter, non par nostalgie ou au second degré, un sourire amusé aux lèvres, mais parce qu'elle nous donne encore et toujours le frisson.
D'abord "Mon légionnaire", ensuite "Je n'en connais pas la fin", "L'accordéoniste", "De l'autre côté de la rue".
Tout s'accélère quand Piaf signe avec Pathé-Marconi puisque le premier titre qu'elle grave est l'incontournable "La vie en rose"... On connaît la suite, son triomphe aux Etats-Unis, les drames de sa vie et une incroyable succession de tubes avec, sans ordre de préférence : "Hymne à l'amour", "Je t'ai dans la peau", "Bravo pour le clown", "La goualante du pauvre Jean", "Les amants d'un jour", "L'homme à la moto", "La foule", "Mon manège à moi", Milors", "Non, je ne regrette rien" et "Mon Dieu"...
Non seulement, elle survole la chanson française mais elle est également responsable du lancement d'un certain nombre d'artistes.
Sans elle, ma Mamie n'aurait peut-être pas jamais eu la chance d'avoir connu Yves Montant, Charles Aznavour, Les compagnons de la chanson, Gilbert Bécaud, Georges Moustaky ou Charles Dumont.
Excusez du peu.
Ma Mamie était fan d'Edith Piaf, un point c'est tout.
Elle m'a raconté que quand elle a appris la mort de Cerdan, elle s'est enfermée dans sa chambre dans le noir complet pendant deux jours et refusait de sortir, de manger ou de boire quelque chose.
Elle finit par apparaître, marchant comme une somnambule : elle s'était elle-même coupé les cheveux court, très court, on aurait dit Jeanne au bûcher. Très pâle mais déterminé, elle se dirigea d'abord vers Robert Chauvigny son chez d'orchestre et lui demanda d'arranger une nouvelle chanson qu'elle tenait à interpréter le soir même.
La salle était pleine à craquer. La nouvelle de la mort de Marcel, le grand amour de Piaf avait fait la une des journaux. L'atmosphère était étrange, les gens dans la salle chuchotaient presque.
On baissa la lumière, et un profond silence s'installa, dramatique et angoissant. Edith fit son entrée, pâle mais solide ; elle interpréta tout d'abord quelques chansons de son répertoire habituel, puis l'orchestre joua une très courte introduction, et la voix puissante, brûlante et émouvante d'Edith s'éleva sur ces mots :
"Le ciel bleu sur nous peut s'effondrer
Et la terre peut bien s'écrouler
Que m'importe si tu m'aimes
Je me fous du monde entier"
L'hymne à l'amour, l'hymne à son grand amour disparu mais toujours présent qu'elle dédiait implicitement à Marcel.
Sa voix venu des tripes et du coeur pétrifia l'assistance ; le personnel, les spectateurs, même ceux qui ne comprenaient pas un mot de français, tous étaient bouleversés, des femmes pleuraient, des hommes aussi. A la fin de la chanson, un silence s'installa, le temps semblait s'être figé, puis d'un seul élan, le salle entière se trouva debout pour une standing ovation si forte, si longue, qu'on devait l'entendre et la ressentir jusque sur Times Square.
Ovation pour Piaf et pourquoi le nier pour Cerdan, tandis que ma Mamie, les proches de Piaf, les amis, les inconditionnels du petit balcon du cabaret derrière les projecteurs où ils se trouvaient, tous sans exception, avaient le visage couvert de larmes.
Rideau.