"Une photo, là, sous vos yeux.
Une petite fille qui joue à côté de son père. Au dos de la photo, on lit :
"Papa et Yvonne, dimanche 18 mai 1946."
Sans doute un de ces dimanches monotones où on ne reçoit jamais personne.
Une photo banale ? Non. Beaucoup plus qu'une photo banale.
On peut y voir l’insouciance d'une petite fille devant la présence - rassurante - de son père. La petite fille ne sait pas encore que - un jour - son père rejoindra les étoiles. Elle n’a pas le coeur assez grand pour imaginer toutes ces choses-là. En attendant, elle joue dehors.
Peut-être parce que, chez elle, il n'y a pas la télé.
Détail : Le père fume une cigarette. Une Goldo ? Une Balto, peut-être ? Non. Ma Mamie est formelle quand elle affirme que c'est une Gauloise. Il lui suffit de fermer les yeux pour se souvenir de ce paquet souple - couleur horizon - que les hommes glissaient dans leur poche. Le souvenir aussi de cet épais brouillard bleu qui venait danser au-dessus de toutes les têtes.
Ma Mamie m’a dit que ce père - mince, d'une élégance raffinée, encore jeune - lui faisait penser au sien.
A la différence que le sien avait le visage un peu rond, le ventre également et était - très jeune - devenu chauve, presque intégralement. Excellente façon de ne plus vieillir.
Alors pourquoi cet homme-là lui faisait penser à son père ? Peut-être était-ce juste une pirouette pour se donner l’occasion d’en parler. Laissons-lui cette occasion et écoutons-là religieusement :
"Je revois son regard tendre et rieur quand il feuilletait son journal ou le catalogue Manufrance. Je me souviens aussi que le soir - en rentrant du boulot -, mon père s’asseyait sans dire un mot.
Oui, il était du genre silencieux. A part les jours de paye, où on l’entendait gueuler un peu...
Dire que j’ai passé des années à côté de lui, sans le regarder. Nous deux, on a à peine ouvert les yeux.
Alors que je sais, je suis sûre - et archi-sûre - que si j'avais pu faire avec lui un petit bout de chemin, ça l'aurait rendu heureux.
C'est comme ça.
Mais maintenant qu’il est loin d’ici, en pensant à tout ça je me dis : "J’aimerais bien qu’il soit près de moi. Papa".