"La belle époque.
Tino Rossi d'abord. Il commence par le music hall avec de nombreux succès dont "Vieni vieni" (classé en tête des hit-parades américains pendant 28 semaines, rien que ça), "Marinella" et "Tchi-Tchi", il se tourne assez vite vers le cinéma où son physique de "Rudolph Valentino corse" et sa voix d'or l'aident à devenir une très grande vedette.
Alors que l'industrie du disque est encore à ses balbutiements, il bat tous les records de vente. Vincent Scotto qui lui a écrit de nombreuses chansons, déclarera à ce sujet : "Ses disques ont été achetés dans le monde entier. On vendait généralement quatre-vingt milles disques par mois de Tino."
Ainsi, "Adieu Hawaii" s'écoule à près d'un demi-million d'exemplaires, chiffre inouï pour l'époque.
Mais ce n'est rien comparé au raz-de-marée "Petit Papa Noël", succès planétaire qui semble ne jamais vouloir s'arrêter : à la mort de Tino en 1983, il s'en vend encore 300 000 par an, pour un total cumulé de plus de 30 millions depuis sa sortie... Ce titre lui vaudra le premier disque d'or décerné à un chanteur français. Dans les années 50, Tino Rossi se tourne vers l'opérette malgré la sévère concurrence d'artistes plus jeunes comme Luis Mariano ou Georges Guétary. Ce sera encore un succès avec notamment Méditerranée en 55.
Tino Rossi est typiquement un chanteur "à l'ancienne", qui porte sa voix dans une tradition proche de l'opéra : difficile de l'écouter aujourd'hui sans sourire pour tous ceux qui n'ont pas connu cette époque. Et comme dit ma Mamie, ils sont de plus en plus nombreux...
L'un de ses contemporains va aussi devenir une grande vedette internationale avec notamment une grande révolution dans le domaine du chant, il s'appelle Jean Sablon. Il sera la premier chanteur à se produire sur scène avec un micro, dès 1934. Après avoir commencé classiquement par la revue et l'opérette aux côtés de Mistinguett, il s'associe avec Mireille pour un fameux duo, "Puisque vous partez en voyage", puis s'imprègne de jazz et de swing pour interpréter une de ses plus belles réussites, "Vous qui passez sans me voir", que lui a offert un petit nouveau, Charles Trenet, et qui remporte le Grand-Prix du Disque 1937.
Il peaufine alors son style de chant doux et murmurant, qui fait de lui le premier crooner français. Il est énormément critiqué et moqué pour sa prétendue absence de voix : les chansonniers l'appellent "le petit qu'à le son court"... Vexé, il traverse l'Atlantique où il devient une véritable star, l'égal d'un Bing Crosby, le french troubadour par excellence, travaillant avec les plus grands tels Cole Porter et Georges Gershwin...
Dans le même registre, le "Prince de la chanson de charme", André Claveau, devient l'idole des femmes des années quarante, atteignant le sommet de sa gloire en 1950 avec "Domino" et "Cerisier rose et pommier blanc". Avec "Les yeux d'Elsa" en 1956 - un poème d'Aragon mis en musique par le jeune Jean Ferrat - et "Dors mon amour" qui remporte le Grand Prix de l'Eurovision 1958, il donne sa chance à une nouvelle génération qui explosera au cours des années 60 et contribuera à le ringardiser...
Mais si un chanteur a véritablement révolutionné la chanson française et ouvert la porte à une pléiade d'artistes majeurs, comme Brel, Brassens, Higelin, Charlebois et tant d'autres, il s'agit bien de Charles Trenet. Au-delà de son énergie et de sa bonne humeur (cachant souvent une certaine mélancolie), le "fou-chantant" a tout à la fois introduit les rythmes nouveaux venus d'Amérique et le goût de la littérature et de la poésie.
Il a un pied dans la tradition et un autre dans la modernité. Ainsi à ses débuts, il écrit pour Frehel et Maurice Chevalier interprète un de ses premiers titres "Y'a d'la joie", en 1937. Pourtant, dès cette époque, l'avènement de son style novateur entraînera le début du déclin de la chanson réaliste chère à Damia et Fréhel, ainsi que de la tradition masculine du comique troupier, dont est issue Chevalier. Il enchaîne avec "Boum !" qui remporte le Grand Prix du Disque en 1939 puis, sous l'occupation - pendant laquelle on lui reprochera, comme à tant d'autres, d'avoir continué à chanter - compose "Que reste-t-il de nos amours ?", "La mer" et autres "Douce France".
Ensuite, il triomphera avec "L'âme des poètes", "Nationale 7", "A la porte du garage" et "Moi, j'aime le music-hall". Il fête alors déjà ses vingts ans de carrière et dix millions de disques vendus... Avant de traverser le désert dans les années 60 et la folie des yéyés. On reparlera de lui en 63 à l'occasion d'un sordide procès pour une histoire de moeurs : également novateur dans ce domaine, il sera l'un des tout premiers chanteurs à rendre publique son homosexualité, à une époque où il fallait une sacré dose de courage pour affronter une opinion publique très peu progressiste...
Mais la plus grande chanteuse de l'époque, et probablement de tout le XXème siècle, est sans conteste Edith Piaf. Mais ça, ma Mamie vous le racontera une autre fois...