"Une photo, là, sous vos yeux.
Une photo de Plonplon qu'on ne présente plus. Tout a été dit sur lui. Pire : tout a été écrit. Mais connaissez-vous la rencontre insolite entre Anna Deslions et Plonplon ? Ma Mamie me l'a raconté il y a longtemps déjà. Magnéto Mamie :
"Plonplon ne se résignait pas à vivre une vie sans attraits. Du coup, il cherchait ailleurs des "dérivatifs" à sa nostalgie. Il les trouvait chez de jolies femmes - nombreuses, accueillantes - qui successivement s’essayaient à retenir ce blasé.
Un jour "Plonplon" se mit en quête d’une maîtresse nouvelle. Les autres avaient cessé de lui plaire. Mme Arnould ne présidait plus les dîners de l’avenue Gambetta. Cora Pearl ? Une passade. Qui choisir ?
Le journaliste eut une idée soudaine :
"Votre Altesse connait-elle Anna Deslions ?"
Sur la réponse négative de Plonplon, Girardin se récria. Il n’y avait point à tergiverser : c’est Deslions qu’il fallait à Plonplon !
L’entrevue se déroulerait chez une autre "lionne" fameuse : Esther Guimond.
Girardin n’avait nullement exagéré. Anna Deslions était une créature superbe.
Ses admirateurs vantaient "ses seins impertinents par leur fierté, ses épaules tombantes, sa chair de rose et de lait, ses hanches savoureuses".
A la vérité, le front apparaissait bien un peu étroit, le nez se retroussait d’une façon plutôt canaille. Défauts mineurs, vite oubliés.
Les raffinés critiquaient son langage, son allure. Les indulgents en souriaient, disaient : "Elle est nature."
Telle quelle, on la considérait comme l’une des trois ou quatre femmes de Paris les plus en vogue...
Esther Guimond chapitra Deslions :
"Je te ferai dîner avec Plonplon. Seulement, il faudra résister ; c’est un homme qui aime qu’on lui résiste.
- C’est bien difficile...
- Difficile peut-être mais indispensable."
Au dîner, Anna se présenta vêtue d’une robe somptueuse laissant nus ses bras et ses épaules. Esther Guimond, avant de passer à table, lui souffla - ultime conseil : "Résiste !"
Plonplon, visiblement, était enchanté. Dès le potage, il se montra empressé, gaillard.
Au rôti, il ne s'embarrassait plus de préliminaires. Ses allusions se faisaient de plus en plus directes, ses plaisanteries de moins en moins voilées. Le naturel reprenant le dessus, Anna riait aux éclats. Esther Guimond multipliait les coups d’oeil furieux. En vain.
Avec des mimiques à rendre jalouse une actrice de l’Ambigu, elle répétait son avertissement si précieux :
"Résiste !" Alors Anna baissait les yeux, prenait l’air pudique d’une pensionnaire effarouchée. Puis, une minute plus tard, sur une polissonnerie bien appuyée de Plonplon, son rire éclatait, large, sensuel, sans retenue.
Au fromage, Plonplon lui prit la taille. Elle s’abandonna avec un évident plaisir. C’en était trop ! Courroucée, Esther se dressa, glissa à l’oreille de sa protégée :
"Anna j’ai deux mot à te dire !"
L’oreille basse, Deslions se leva, suivit la Guimond jusque dans al pièce voisine. Esther lui brandit le poing sous le nez :
"Ah çà ! veux-tu bien résister, petite malheureuse !"
Bien plus tard, contant l’anecdote à ma Mamie, Esther Guimond ajoutait en souriant : "Tout ce que je pus obtenir, ce fut de la faire traîner jusqu’à onze heures."
Il paraît que cela fut très suffisant : cette soirée marqua le début d’une longue liaison.
La suite ? La suite n’est que littérature.