"Un souvenir de Bernard.
Du premier juillet au premier octobre, une éternité, ce sont les grandes vacances et la plage. Avec mes parents et ma soeur, je marche en sandalettes short et chemisette, avec à la main ma pelle mon seau ma bouée, et sur la tête une casquette blanche à visière bleue.
Nous nous installons dans "notre coin". Mon travail en arrivant consiste à faire à ma mère, en quelques coups de pelle, un fauteuil de sable où elle s'installe pour tricoter par exemple un maillot de bain en laine, qui mouillé et mélangé au sable, brûle l'entrecuisse et à souvent tendance à laisser échapper un testicule.
Je construis ensuite une route pour mes coureurs du Tour de France avant d'édifier un château fort et ses remprats, qui finissent toujours par s'effondrer sous le coup des vagues montantes, malgré mes réparations multiples.
Le moment de la baignade arrive deux heures plus tard après le repas. Il faut respecter scrupuleusement le temps de la digestion. J'ai peur de l'eau. Mon père qui vient d'apprendre à nager, m'y pousse en riant. Je crie. Pourtant ma bouée pourrait soutenir la famille entière, car c'est une chambre à air de camion récupérée dans un garage. Elle est noire, avec partout des rustines rouges. Quand on la met dans l'eau, elle pétille par endroits. Entre la gare et la plage, dans une station-service, un employé me la gonfle pour la pièce de cent sous que je lui donne.
Après le bain, Jokari ou jeu de ballon pour se réchauffer. Après le ballon, les billes...
Il y a les billes en terreaux couleurs pures ou passées, celles en verre, transparentes et multicolores, et les grosses, les calots. le but, c'est de les gagner, et pour ça, il y a toute sorte de jeux. Quand on est vainqueur, on contemple un long moment en silence son trésor, avant de s'en servir comme monnaie d'échange.
Il y a aussi les billes de course, en bois, pour le Tour de France. Il faut d'abord creuser une piste dans le sable mouillée de la plage. Ensuite, d'une pichenette, on fait rouler la bille et on place un coureur là où elle s'arrête. Les coureurs sont en fer. Ils ont leur maillot national peint sur le dos, par exemple celui des Suisses est rouge avec une croix blanche. Il y a aussi les équipes régionales de France. Moi, je suis bien sûr pour celle de l'Ouest, de la Bretagne.
J'ai aussi une moto et des autos miniatures qui forment la caravane publicitaire.
Les cow-boys et les Indiens, eux, sont en plastique. Cavaliers et fantassins combattent autour de mon lit, les jours de pluie.