"Vieux con !"
C'est ce que l'on vient de me dire à la sortie d'une visite d'usine de métallurgie.
Il était 18 h 37. Il y avait foule. Je poussais parce que j'étais poussé et quelqu'un que je n'ai pas bien vu, placé devant moi, s'est retourné et à proféré à mon intention, nettement et textuellement, cette formule lapidaire :
Vieux con.
Il devait être jeune probablement.
Peut-être était-il con aussi d'ailleurs.
En tout cas, cela m'a laissé rêveur. Depuis, j'interprète, je m'interroge. Je me demande ce qui me gêne le plus est d'avoir été traité de con ou de vieux. Sans doute de vieux parce que ça, ça se voit, alors qu'il ne pouvait pas savoir, en si peu de temps, si j'étais con. D'un autre côté, s'il avait dit "con" tout court, cela aurait eu une brièveté trop cinglante qui m'eût blessé peut-être plus profondément, et je me demande si finalement l'adjectif n'a pas été un adoucissant, s'il n'a pas joué, en fait, un double rôle : tout d'abord il tempère, et j'ai l'impression tout à coup qu'un vieux con est moins con qu'un con tout court...
Cela est peut-être du au respect des anciens surnageant aux rebords de nos consciences... Il y a là une nuance d'importance : le vieux con n'est peut-être con que parce qu'il est vieux ; il ne l'a toujours pas été, peut-être fut-il brillant, intelligent, peut-être autrefois ne poussait-il pas à la sortie de l'usine... Bref, la connerie est ici un produit de l'âge dont il est la victime, il est donc plus attendrissant qu'inquiétant, c'est un privilège du troisième âge en quelque sorte, et peut-être qu'en approfondissant encore, je trouverais dans l'expression qui m'a défini en ce cours moment une infime nuance de tendresse. J'imagine les visages émus de mes copains de régiment se retrouvant à l'automne de leur âge se traitant mutuellement, les larmes aux yeux, de vieux cons.
Pudeur des amitiés viriles... Peut-être cet inconnu de l'usine a-t-il exprimé soudain une brutale montée de tension retenue à mon égard...
On peut évidemment ne pas être d'accord avec mon interprétation et penser au contraire que l'âge n'arrangeant pas les choses, se manifestant par une lourdeur, de pesanteur (le poids des ans), un vieux con est plus con qu'un con moins vieux ou qu'un con tout court...
Et puis je ne suis pas si vieux que ça et je fais du sport pour m'entretenir. Ca se voit d'ailleurs, tout le monde l'a remarqué.
En tout cas, je n'ai rien répondu par manque de réflexe, je trouve toujours mes mots après... Je sais que François aurait trouvé un truc avec sa réparti, il savait y faire le vieux. Mais moi, ça m'a séché. Qu'aurait dit l'américain d'ailleurs ? Il aurait répondu un truc élégant, c'est évident.
Mais répondre n'est d'ailleurs pas si facile qu'il y paraît car on répond à une question : or je n'ai pas été questionné.
Loin de là.
C'était plutôt une affirmation péremptoire. Peut-être pas complètement fausse, et ce monsieur entr'apperçu était-il un fin connaisseur. Que répondre donc à quelqu'un qui vous apprend sans préparation excessive que vous êtes un vieux con ? Le plus normal est de le traiter de la même manière, mais avouez que ce serait un aveu d'impuissance qui ne me ressemble pas que d'employer exactement ses propres termes; cela dénoterait un tel manque d'imagination que je ne puis absolument pas m'y résoudre.
Trois solutions s'offrent : petit, gros ou grand.
Choisissons.
Petit con ne me satisfait pas pour deux raisons contradictoires ; c'est à la fois trop gentil puisqu'un petit con est tellement con qu'il n'est même pas capable d'être un con tout entier ; il y a dans cette formule quelque chose d'à la fois mignard et d'inachevé qui me laisse insatisfait. Et puis "petit" est un mot qui me gêne, je ne sais pas pourquoi, je n'arrive pas à me l'expliquer. Et puis, ce qui est petit est mignon, non ?
J'écarte tout de suite "gros con" qui, de loin, me paraît être la solution la plus vulgaire et ne me ressemble donc pas ; elle a un aspect d'obésité, d'enflure, de graisse et de bêtise épandues qui me choque. On peut être grossier sans être obscène ; "gros con" appartient aux deux catégories.
Reste "grand con". Là encore je demeure perplexe ; l'adjectif est ici presque un hommage. Proférer cette formule, c'est se poser aussitôt comme un petit homme râleur dressé sur ses ergots face à un grand escogriffe, dadais longiligne ; c'est ce que dit dans la cour de récréation le bambin du cours préparatoire au grand du cours moyen deuxième année qui vient de lui piquer ses réglisses. Cela serait ridicule que je profère ces mots d'enfant, moi qui suis un vieux. Un vieux con pour être plus exact.
Alors que faire ? Le silence ? Cela paraît digne, surtout vu ma position, mais il est dur de s'y résoudre, surtout pour moi et puis le silence est l'injure des forts. "Indescriptible con" me paraît trop long, rien de tranchant, rien de vif ni d'incisif ; non, il ne faut pas dépasser les deux syllabes sinon on n'en finit plus, et puis cela ne fait pas sérieux. J'ai cherché l'adjectif ad hoc, j'ai fait les dictionnaires comme ma femme fait les magasins, je n'étais pas loin de penser que finalement, j'étais bien un vieux con lorsque la solution m'est venue d'un coup, exactement ce qu'il fallait, ni trop long, ni trop courte, la réplique parfaite.
Pauvre con.
Maintenant que je l'ai écrite, je ne la trouve plus si bonne. Je me demande si "pauvre" n'introduit pas une dimension d'apietoiment qui me pose comme une sorte de richard hautain à smoking, cigare et double Rolls par rapport à un brave homme sans le sou que je toise dédaigneusement ; mais bon, ça a quand même plus de gueule. A moins que...Il faudrait rajouter un truc pour adoucir, un truc du style... "Casse-toi pauvre con !"
Imparable !
Au salon de l'agriculture mercredi, le prochain qui m'emmerde, il va y avoir droit. C'est vrai quoi à la fin, je suis là pour résoudre les problèmes du pays et les français ne m'ont quand même pas élu pour que je ferme ma gueule. Je serai le président de la libre expression un point c'est tout !