"Avertissement : Cet article fait parti de la collection Mamie à la recherche du malheur, il s'adresse à toutes les personnes qui savent que la joie est un escargot rampant et que le malheur est un coursier sauvage !
Le temps - d'après Mamie - guérit de toutes les blessures. C'est possible, mais cela n'est pas pour nous faire peur. Car il est tout a fait possible de se protéger contre cet effet du temps, pour faire du passé une source de malheur très fiable. Afin d'y parvenir, quatre mécanismes ont fait leurs preuves depuis des temps immémoriaux.
"La glorification du passé" : Avec tant soit peu de talent, même le débutant saura s'arranger pour voir son passé a travers des lunettes roses qui ne laisseront visible que ce qu'il a eu de bel et bon.
Seuls les incapables que dépasse ce simple truc conserveront du passe une vision terre a terre qui fait de l'adolescence une désagréable periode nourrie de regrets du passe et de craintes de l'avenir.
S'ils sont un peu plus doués, les candidats au malheur ne devraient éprouver aucune difficulté a voir leur jeunesse comme une espèce de paradis perdu et a en faire un réservoir inépuisable de larmoyante nostalgie. La jeunesse ne constitue bien sur qu'un exemple par mi d'autres.
On peut citer aussi le profond chagrin éprouve lors de la rupture d'une relation amoureuse.
Qu'on résiste alors a la voix de la raison, à celles de ses propres souvenirs et de ses amis bien intentionnés qui, les uns comme les autres, proclament que cette relation était depuis longtemps désespérée et qu'on s'était même, a plusieurs reprises, demande comment sortir de cet enfer.
Il suffit de refuser de croire que la séparation est, de loin, le moindre mal. Et de se convaincre au contraire, pour la énième fois, qu'un "nouveau départ" - mais sérieux, "pour de bon" - aura toutes les chance de réussir.
Il suffit de se laisser conduire par la plus élémentaire logique : si la perte de l'être aime cause une douleur si infernale, quelle félicité divine ce sera de le ou la retrouver ! Qu'on s'isole donc !
Qu'on demeure enfermer chez soi, a proximité du téléphone. Enfin si l'attente se révélait trop longue, au point de devenir intolérable, on n'aura qu'a se rabattre sur une recette qui a fait ses preuves et établir une relation identique avec un partenaire similaire - si différent qu'il puisse paraître à première vue.
"Mme Lot" : Tournons-nous vers notre modèle biblique, la regrettée Mme Lot. Vous vous souvenez ? Les anges disent a Lot et a sa petite famille de fuir s'ils veulent sauver leur vie "mais, ajoutent-ils, ne regarde pas en arrière, et ne t'attarde pas non plus dans les plaines ; gagne les montagnes si tu veux pas être réduit en poudre". Or la femme ne put s'empêcher de regarder en arrière et fut muée en une statut de sel...
"Le verre de bière fatal" : Dans un de ses films, The Fatal Glass of Beer, W.C Fields nous fait assister au déclin inexorable et terrifiant d'un jeune homme plein d'avenir qui ne sait résister à la tentation de boire son premier verre de bière.
Le fait est que l'aspect irréparable et irréversible des conséquences du premier verre de bière, sans excuser tout à fait la suite, la détermine indiscutablement assez pour permettre l'attitude suivante : jamais je n'aurais du, mais, désormais, il est trop tard. Le remords m'étouffe, mais je n'y puis plus rien. C'était un péché, la première fois, cette fois fatale que je regretterai toute ma vie, mais je suis devenu la victime de mon propre péché. Atroce, n'est-ce pas ?
"La clé perdue où il suffit d'insister" : Pour un réverbère, un monsieur visiblement éméché scrute longuement le trottoir. Survient un policier qui s'enquiert de l'objet de ses recherches. "J'ai perdu ma clé", répond l'ivrogne. Et les deux hommes se mettent a chercher ensemble. Au bout de quelques minutes, le policier s'étonne : "Vous êtes bien sur de l'avoir perdue ici, votre clé ?" D'où la réponse pleine de logique : "Non, je l'ai laissée tomber plus loin, par la-bas, mais il fait beaucoup trop sombre." Absurde, dites-vous ?
Mais alors, c'est que vous-même ne cherchez pas au bon endroit. Certes, la recherche n'aboutira a rien, c'est tout l'intérêt de la manoeuvre. Il suffit d'insister. Cette formule apparemment toute bête : "il suffit d'insister", est l'une des recettes les plus désastreuses mises au point sur notre planète sur des centaines de millions d'années. Elle a conduit des espèces entières à l'extinction.
Pour des raisons encore mal élucidées, l'homme, comme les animaux, a tendance à considérer ces solutions comme définitives, valides à tout jamais. Cette naïveté sert seulement à nous aveugler sur le fait que ces solutions sont au contraire destinées à devenir de plus en plus anachroniques.
Elle nous empêche de nous rendre compte qu'il existe un certain nombre d'autres solutions possibles, envisageables, voire carrément préférables. Mais non ! Il faut insister, ce faisant, on ne peut que s'enfoncer dans le malheur... *
* Référence : "Faites vous-même votre malheur" de l'excellent Paul Watzlawick (pour les amateurs)
Pour en savoir plus sur Mamie à la recherche du malheur :
Quatre façons de jouer avec le passé ; Si tu m'aimais vraiment, tu aimerais l'ail ; Pour une poignée de haricots ; Une histoire de marteau ; La poudre anti-éléphants ; Je vous l'avez bien dit ! ; Gardez-vous d'arriver ; Sois spontané ! ; Pourquoi m'aimerait-on ?