"Avertissement : Cet article fait parti de la collection Mamie à la recherche du malheur, il s'adresse à toutes les personnes qui savent que plus le malheur est grand, plus il est grand de vivre.
Mamie est dans le train entre Vannes et Angers, comme à son habitude elle ouvre la fenêtre toutes les dix minutes pour jeter un peu d'une poudre mystérieuse. "Qu'est-ce que c'est que cette poudre ?" finit par s'enquérir un voyageur intrigué par ce manège. "C'est une poudre anti-éléphants de mon invention, répond Mamie. "Mais voyons, il n'y a pas d'éléphants entre Vannes et Angers !" "Et, pardi, rétorque Mamie, c'est que ma poudre est efficace !"
La morale de cette histoire est que, en évitant une situation ou une difficulté que l'on redoute, on risque, tout en ayant l'air de choisir la solution la plus simple et la plus raisonnable, de perpétuer la situation ou la difficulté que l'on redoute.
Un autre exemple pour éclaircir : Supposons un cheval qui reçoit un choc électrique dans un de ses sabots par l'intermédiaire d'une plaque métallique dissimulée dans le plancher de son écurie. Si avant chaque choc, on fait retentir une sonnerie, l'animal semble établir, assez rapidement, un rapport causal entre la sonnerie et la sensation désagréable.
Désormais, chaque fois que la sonnerie retentit il lève le sabot - manifestement pour éviter le choc électrique. Une fois cette relation de cause a effet entre les deux évènements bien établie, le choc électrique cesse d'être utile. La sonnerie seule suffit a provoquer le mouvement de la jambe pour soulever le sabot.
Et qui plus est, chacune de ses conduites d'évitement parait renforcer, chez l'animal, la "conviction" qu'en soulevant le sabot il évite un choc désagréable. Ce que le cheval ignore, ce que sa conduite d'évitement l'empêche à tout jamais de savoir, c'est que le danger a cessé d'exister.
On élève le débat. Quelle quantité de risques doit-on accepter d'encourir ? La raison et le bon sens nous soufflent de réduire cette quantité au minimum, voire a néant si c'est possible. Les plus audacieux d'entre nous considèrent le trapèze volant comme présentant trop de risques. La conduite automobile ?
Qu'on songe au nombre de gens qui sont tues ou estropies a vie dans des accidents de la circulation ! Les voleurs à la tire, les fumées d'échappement, les immeubles qui s'effondrent soudain, l'amour qui fait souffrir, l'amitié qui fait perdre son indépendance, les rêves qui nous poussent vers l'inconnue, la liste est longue et pourrait s'allonger a plaisir, et seuls un imbécile inconscient ou un fou s'exposeraient aveuglement à de tels risques.
Tout cela recèle un danger de tous les instants, celui de perdre peu a peu de vue le problème. L'anecdote suivante illustre bien la manière d'échapper a ce danger.
Une vieille fille dont la maison se dresse au bord de la rivière vient se plaindre à la police : une bande de gamins a pris l'habitude de venir se baigner devant sa porte dans le plus simple appareil. Le commissaire envoie l'un de ses hommes enjoindre aux enfants de pratiquer plus loin leurs ébats aquatiques.
Le lendemain, la vieille fille revient se plaindre : elle les voit encore. Le policier retourne voir les petits baigneurs pour qu'ils s'éloignent plus encore vers l'amont. Trois jours plus tard, la vieille fille est de retour au commissariat et fulmine : en montant sur le toit de sa demeure, et avec une bonne paire de jumelles, elle peut encore voir les petits impudents !
Demandons-nous maintenant ce que fera la vieille fille quand les gamins seront réellement et indiscutablement hors de sa vue.
Peut-être se lancera-t-elle dans de longues randonnées pédestres vers l'amont du cours d'eau. Peut-être se contentera-t-elle de savoir que quelque part se commet probablement un attentat a la pudeur. Une chose est sûre : cette idée continuera de lui hanter l'esprit. Et c'est cela, seulement cela qui compte... *
* Référence : "Faites vous-même votre malheur" de l'excellent Paul Watzlawick (pour les amateurs)
Pour en savoir plus sur Mamie à la recherche du malheur :
Quatre façons de jouer avec le passé ; Si tu m'aimais vraiment, tu aimerais l'ail ; Pour une poignée de haricots ; Une histoire de marteau ; La poudre anti-éléphants ; Je vous l'avez bien dit ! ; Gardez-vous d'arriver ; Sois spontané ! ; Pourquoi m'aimerait-on ?